Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/35

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Il voulut passer devant le père et s’éloigner. Mais, sur ses épaules, une main puissante s’abattit. Une voix commanda :

— Arrête ici !

Et le fils dut s’arrêter.

— Qui t’a engagé, François ?

— Les chefs.

— Non, qui t’a conseillé ? Tu n’as pas fait ça tout seul. Il y a eu un monsieur, pour t’aider. Qui est-ce ?

Le jeune homme hésita un instant, puis, se sentant prisonnier, balbutia :

— M. Meffray.

D’une poussée, le père le fit courir sur l’herbe.

— Sauve-toi, à présent ! Attelle la Rousse à la carriole, et tout de suite ! J’y vais, moi, chez le Meffray !…

Ce fut François qui descendit le premier sur la place de Challans, près des Halles-Neuves, et attacha la jument à un anneau scellé dans un des piliers. Puis il suivit le père qui tournait par une des rues, à gauche, et s’arrêtait devant une maison étroite, neuve, bâtie en tuffeaux et en briques. Une plaque de fonte, au-dessous de la sonnette, portait : « Jules Meffray, ancien huissier, conseiller d’arrondissement. »

Le métayer sonna vigoureusement.

— Le patron est ici ? demanda-t-il à la servante qui ouvrait.

La fille considéra ce paysan qui venait chez son maître en vêtements de travail tachés de boue, et qui n’avait pas l’air d’humeur accommodante, à en juger par le ton des paroles et par la couleur du regard. Elle répondit :

— Je crois que oui, qu’est-ce que vous lui voulez ?

— Dites-lui que c’est Toussaint Lumineau, de la Fromentière ; qu’il se dépêche, je suis pressé !

Étonnée, n’osant faire entrer Lumineau dans la salle à manger où M. Meffray recevait d’ordinaire ses clients, elle laissa le métayer et François dans le corridor tapissé de papier gris, au fond duquel l’escalier tournait. En se retirant, elle ne regardait pas François, dissimulé en arrière, honteux, mais seulement ce grand vieux, dont les épaules touchaient presque aux deux murs et qui se tenait