Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/49

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golfe. Il n’était revenu qu’une fois au pays dans ses trois années de service. Avec une émotion grandissante, il observait les îlots de peupliers et les menus toits roses perdus dans les espaces d’herbe. Son regard errait de l’un à l’autre. Ses lèvres tremblaient en les nommant. Toute autre émotion se taisait devant celle du retour.

— La Parée-du-Mont ! dit-il. Qu’est devenu l’aîné des Estus ?

— Peu de chose, mon gars : il est douanier.

— Et Guérineau, de la Pinçonnière, qui était au 32e de ligne.

— Celui-là, il a fait comme François, il conduit les tramways dans la ville de Nantes.

— Et Dominique Perrocheau, des Levrelles ?

Le métayer leva les épaules, de déplaisir, car, vraiment, c’était trop peu de chance, d’être obligé toujours de répondre : « En allé, parti, traître au Marais ! » Il dut cependant avouer :

— Tu as appris sans doute qu’il avait gagné les galons d’or à la fin de son premier congé. Alors il en a fait un second, et on lui a donné une place, je ne sais pas où, dans les écritures du gouvernement. Un tas de mauvais drôles, tous ces jeunes-là ! Des pas grand’chose, mon Driot !

— Ah ! j’aperçois la Terre Aymont ! s’écria André. Elle me paraît moins loin qu’autrefois. Je vois leur meule de foin. Dites-moi, père, il y avait là deux de mes camarades, les fils de Massonneau le Glorieux, l’un plus âgé que moi, l’autre plus jeune. Que font-ils ?

Radieux, Toussaint Lumineau répondit :

— Tous deux cultivent ! L’aîné a exempté l’autre. Ce sont de bons travailleurs qui ne craignent pas l’ouvrage. Tu les verras dimanche à la messe de Sallertaine.

Ils se turent un moment l’un et l’autre. Le chemin tournait encore, et laissait voir, à gauche, la Fromentière. D’un même mouvement, le père et le fils s’étaient dressés presque debout, et, se tenant d’une main au bord de la voiture, ils contemplaient le domaine. La Rousse trottait sans que personne s’occupât d’elle. Un sentiment tendre, noble et cruel, pâlissait le visage de Driot. La campagne accueillait son enfant. Pour lui, toute sa jeunesse éparse