Page:Bazin - La Terre qui meurt.djvu/11

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un navire, jusqu’à mi-corps, dans cette mer compacte et vivante. On ne voyait au-dessus que sa veste courte et son chapeau de feutre rond, posé en arrière, d’où pendaient deux rubans de velours, à la mode du pays. Et quand il eut marqué par un temps de silence et de labeur, la supériorité d’un chef de ferme sur un employé à gages, il se redressa, et dit :

— Vous pouvez causer : n’y a ici que mon chien et moi.

L’homme répondit avec humeur :

— M. le marquis n’est pas content que vous n’ayez pas payé à la Saint-Jean. Ça fait bientôt trois mois de retard !

— Il sait pourtant que j’ai perdu deux bœufs cette année ; que le froment ne vaut sou, et qu’il faut bien qu’on vive, moi, mes fils et les créatures ?

Par « les créatures », il désignait, comme font souvent les Maraîchins, ses deux filles, Éléonore et Marie-Rose.

— Ta, ta, ta, reprit le garde ; ce n’est pas des explications que vous demande M. le marquis, mon bonhomme : c’est de l’argent.

Le métayer leva les épaules :

— Il n’en demanderait pas, s’il était là, dans sa Fromentière.