Page:Beaufront, Commentaire sur la grammaire Espéranto, 1906, 5ed.djvu/100

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EMPLOI DES MODES

Une des grosses difficultés de nos langues est certainement l’emploi des modes, parce qu’il ne repose le plus souvent sur aucun principe logique. A chaque instant il constitue, dans tel idiome donné, des idiotismes spéciaux que contredit la raison, mais qu’il faut pourtant essayer de retenir.

Ainsi, en français, on nous dit que l’indicatif est le mode de la certitude. Par conséquent, comme en Esperanto, tout fait certain ou présenté comme tel devrait se rendre par lui. Cependant je dis avec le subjonctif, mode du doute et des choses éventuelles : quoique je sois malade. Voilà, certes, un fait positif, absolument certain. Rien n’est moins douteux ou éventuel : je suis malade.
Pourquoi donc le subjonctif ? A cause de la conjonction quoique, me répond-on. Ma raison ne voit pas très bien en quoi une conjonction peut décider du choix d’un mode ; mais je dois m’incliner et tâcher de retenir. D’ailleurs on me prévient qu’il en sera encore ainsi dans une foule de cas que l’usage finira par m’apprendre. Cela revient à dire que je me débattrai pendant longtemps, et

    plus fondé à agir ainsi que l’Esperanto regarde ces divers vocables comme des mots simples, destinés à rendre les idées qu’expriment tel adverbe, telle préposition ou telle conjonction de nos langues, mais qu’il ne prétend pas les classer dans une catégorie grammaticale exclusive. Aucune de nos langues n’a d’ailleurs cette prétention, et les grammairiens y enseignent à l’envi que tel mot, rangé dans les adverbes, peut être préposition, et que tel autre, classé dans les conjonctions, peut très bien être adverbe. En réalité, ces mots prennent la nature grammaticale que leur donne leur rôle dans la proposition. Quant à la nature essentielle de certains d’entre eux, qui peut le dire ? Langue de simplicité et de pratique, l’Esperanto n’a pas à nous l’apprendre et à trancher cette question oiseuse qui exerce depuis des siècles — sans résultat d’ailleurs — la sagacité des grammairiens.