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ANITA

coquins nous disaient bonjour du bout des lèvres, tandis que dans leurs cœurs, ils nous vouaient à tous les diables. Mais j’étais de bonne humeur et j’oubliais pour le moment que j’étais en pays ennemi.

Je fis ainsi, sans y penser, cinq ou six lieues. Le cœur me battait d’aise à la pensée de l’heureuse inspiration que j’avais eue de me procurer une nouvelle monture, ce qui me permettrait de passer sept ou huit heures auprès de l’objet de mes affections. C’est là une dose de bonheur énorme pour un militaire en campagne, croyez m’en sur parole, heureux lecteur qui n’êtes jamais sorti de la paisible catégorie des pékins.

Je galopais donc content de moi-même et ne pensant nullement au danger, quand j’arrivai au gué d’une petite rivière qu’il me fallait traverser pour continuer ma route. Je lâchai la bride à mon cheval pour lui permettre de s’abreuver à l’eau claire qui coulait sur un lit de cailloux ; et j’étais en train de rouler une cigarette, quand le bruit des pas de plusieurs chevaux me fit tourner la tête. Je vis cinq ou six cavaliers qui se dirigeaient vers moi, mais qui, évidemment, jusque-là, ne m’avaient pas encore aperçu. Leur tenue demi-militaire me fit un devoir de m’assurer à qui j’avais affaire, avant de les laisser s’avancer plus près, et je les interpellai de la phrase sacrementelle :