Page:Beaugrand - Jeanne la fileuse, 1878.djvu/202

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Anselme Dupuis avait donc obéi à des raisons péremptoires, lorsqu’il avait décidé de se rendre à Fall River dans l’espoir d’obtenir du travail pour lui-même et pour sa famille. Lorsque le curé du village lui avait reproché de céder à un mouvement de découragement, en s’éloignant ainsi du village natal, le fermier lui avait répondu :

— Mon Dieu ! M. le curé, vous me connaissez trop bien pour croire que je laisserais ici tout un passé auquel je suis attaché par la mémoire de mes ancêtres pour aller à l’étranger servir les autres, si je pouvais faire autrement. La misère est à la porte de ma maison et les dettes menacent d’engloutir mon patrimoine. J’ai une famille qui grandit, et, ma foi, si pénible que soit l’expatriation, mieux vaut encore le pain de l’exil pour ses enfants que la douleur de les voir destinés à traîner une vie de souffrances et de privations.

Le brave homme avait été forcé d’emprunter la somme nécessaire pour payer ses frais de voyage et lorsqu’il eût acheté et payé ses billets de chemin de fer, à Montréal, il ne lui restait pour toute fortune qu’une balance de trente dollars qui devait suffire à couvrir les dépenses imprévues et les frais d’installation à Fall River. M. Dupuis qui n’avait pas l’habitude du voyage avait heureusement choisi la ligne du « Passumpsic Rail-Road »