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Page:Beaumarchais - Œuvres choisies, édition 1913, tome 2.djvu/149

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On ne jouerait point les Fâcheux, les Marquis, les Emprunteurs de
Molière, sans révolter à la fois la haute, la moyenne, la moderne et
l’antique noblesse. Ses Femmes savantes irriteraient nos féminins
bureaux d’esprit ; mais quel calculateur peut évaluer la force et la
longueur du levier qu’il faudrait, de nos jours, pour élever jusqu’au
théâtre l’œuvre sublime du Tartuffe ? Aussi l’auteur qui se compromet
avec le public pour l’amuser, ou pour l’instruire, au lieu d’intriguer
à son choix son ouvrage, est-il obligé de tourniller dans des incidens
impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses modèles
hors de la société, crainte de se trouver mille ennemis, dont il ne
connaissait aucun en composant son triste drame.

J’ai donc réfléchi que, si quelque homme courageux ne secouait pas toute
cette poussière, bientôt l’ennui des pièces françaises porterait la
nation au frivole opéra-comique, et plus loin encore, aux boulevards, à
ce ramas infect de tréteaux élevés à notre honte, où la décente liberté,
bannie du théâtre français, se change en une licence effrénée, où la
jeunesse va se nourrir de grossières inepties, et perdre, avec ses
mœurs, le goût de la décence et des chefs-d’œuvre de nos maîtres. J’ai
tenté d’être cet homme, et si je n’ai pas mis plus de talent à mes
ouvrages, au moins mon intention s’est-elle manifestée dans tous.

J’ai pensé, je pense encore, qu’on n’obtient ni grand pathétique, ni
profonde moralité, ni bon et vrai comique au théâtre, sans des
situations fortes, et qui naissent toujours d’une disconvenance sociale
dans le sujet qu’on veut traiter. L’auteur tragique, hardi dans ses
moyens, ose admettre le crime atroce : les conspirations, l’usurpation du
trône, le meurtre, l’empoisonnement, l’inceste dans Œdipe et
Phèdre ; le fratricide dans Vendôme ; le parricide