Page:Beaumarchais - Œuvres choisies Didot 1913 tome 1.djvu/167

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à celui qui préfère l’utile et douce émotion où le spectacle l’a jeté, à la diversion des plaisanteries de la petite pièce, qui, la toile baissée, ne laissent rien dans le cœur.

Pour moi, lorsqu’un sujet tragique m’a vivement affecté, mon ame s’en occupe délicieusement pendant l’intervalle des deux pièces, et je sens longtemps que je me prête à regret à la seconde. Il me semble alors que mon cœur se referme par degres, comme une fleur ouverte aux premiers soleils du printemps, se resserre le soir à mesure que le froid de la nuit succède à la chaleur du jour.

Quelqu’un a prétendu que le genre sérieux devoit avoir plus de succès dans les provinces qu’à Paris, parceque, disoit-il, on vaut mieux là qu’ici, et que plus on est corrompu , moins on se plaît à être touché. Il est certain que celui qui fit interdire son père, enfermer son fils, «qui vit dans le divorce avec sa femme, qui dédaigne son obscure famille, qui n’aime personne, et qui fait, en un mot , profession publique de mauvais cœur, ne peut voir dans ce genre de spectacle qu’une censure amere de sa conduite, un reproche public de sa dureté; il faut qu’il fuie ou qu’il se corrige, et le premier lui convient toujours davantage. Son visage le trahiroit, son maintien accuseroit sa conscience : Heu quain difficile est crimeti non prodere uiUtu! dit Ovide. Et l’on ne peut s’empêcher d’avouer que ces désordres sont plus sensibles dans la capitale que partout ailleurs. Mais cette réflexion est aussi trop affligeante pour la pousser trop loin ; j’aime mieux tourner son propre arguMjent contre mon observateur, elle succès d’Eugénie m’y servira d’autant mieux, que cette pièce , foibleraent travaillée, fait peut-être moins d’honneur à l’esprit qu’au cœur de son auteur. Puisque c’est en faveur du sentiment et de