Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/700

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tendais toujours. Les auteurs, perdant alors toute patience, se plaignirent à moi de moi ; et d’autant plus de moi, que les comédiens triomphaient hautement, en publiant que M. de Beaumarchais, et son règlement, était… ce qu’on nomme, au palais, tondu.

En effet, mon règlement et moi, nous en avions tout l’air. Mes confrères (avril 1779) m’assurèrent qu’on allait jusqu’à dire à Paris que je m’entendais avec les supérieurs de la Comédie pour jouer les auteurs. — Eh ! par quel intérêt, messieurs ?… Enfin, fatigué de leurs reproches, je pris la résolution d’aller présenter moi-même le réglement à M. le comte de Maurepas ; mais, comme on était fort empêtré à la Comédie par les débats des dames Vestris et Sainval, je crus devoir patienter encore jusqu’au moment où les esprits seraient un peu calmés par une bonne décision des supérieurs. La bonne décision des supérieurs arriva : la demoiselle Sainval fut exilée, et les esprits ne furent point calmés.

Croyant m’apercevoir qu’ils ne se calmeraient pas de longtemps, je pris le parti de passer outre : et 15 juillet 1779, c’est-à-dire, après avoir inutilement espéré quelque fin à ces débats pendant une année entière, j’eus l’honneur d’adresser cet interminable règlement à M. le comte de Maurepas, non sans en avoir prévenu M. le maréchal de Duras, qui parut approuver assez ma démarche.

Ma lettre au ministre était une espèce d’excuse d’oser le distraire un moment des grands objets qui l’occupaient, pour lui en mettre un sous les yeux propre au plus à délasser son esprit à la promenade.

« 15 juillet 1779.

« Monsieur le Comte,

« Une petite affaire repose quelquefois des grandes, et je sais que vous ne regardez point la littérature française comme un objet au-dessous de vos soins paternels.

« Depuis longtemps je suis à peu prés d’accord avec MM. les premiers gentilshommes de la chambre sur les articles d’un nouveau règlement à faire à la Comédie française, surtout dans la partie qui touche les auteurs dramatiques.

« Ce règlement est dress éde concert avec MM. les premiers gentilshommes ; il ne s’agit que de lui donner son exécution. M. le maréchal de Duras, après m’avoir envoyé de sa main ses objections, que j’ai levées, a désiré que j’eusse l’honneur de vous en parler, pour avoir votre attache sur un changement si utile aux auteurs. Je ne sais autre chose que de vous adresser le règlement lui-même, que l’on décharnera de ses motifs lorsqu’ils auront servi à le faire adopter.

« M. le maréchal de Richelieu nous a donné aussi ses observations de sa main : ainsi vous voyez, monsieur le comte, que nous ne sommes point, comme on le dit, des séditieux qui conspirent dans les ténèbres ; nous sommes une compagnie d’auteurs, dont les uns font rire, les autres font pleurer : nous demandons justice aux comédiens et protection aux ministres. Mais, pour arracher la première, il faut commencer par obtenir la seconde ; et c’est au nom de tous les gens de lettres que je m’adresse à vous.

« L’ouvrage que j’ai l’honneur de vous adresser n’est point pour votre cabinet ; mais il peut être excellent pocheté pour vos promenades de l’Ermitage. Apres cela, dites seulement : Je le veux bien, et tout ira le mieux du monde.

« À voir le ton d’importance qui règne dans le préambule des articles, vous rirez peut-être de cet air plénipotentiaire ; mais vous changerez d’avis, lorsque vous réfléchirez que rien n’est si chatouilleux que l’amour-propre de tous ceux dont je parle, et qu’auteurs et acteurs nous sommes des ballons gonflés de vanité ; et qu’enfin, s’il faut lâcher le mot, une Comédie est beaucoup plus difficile à régler qu’un État à conduire, soit dit sans offenser personne.

« Vous connaissez mon très-respectueux attachement ; il est fondé sur la plus vive reconnaissance, etc. »

Quelque temps après, ce ministre, en me rendant le projet, dont il parut content, me dit que M. le maréchal de Duras ne lui avait jamais parlé des auteurs ; mais que cela n’était pas étonnant, parce que, dans l’embarras où les querelles de deux actrices mettaient encore la Comédie, il paraissait malaisé qu’on pût s’occuper de ce qui touchait les gens de lettres.

Je fis ce récit aux auteurs, frappés du silence de M. le maréchal de Duras, ils m’assurèrent que les soupçons d’un accord secret entre les supérieurs de la Comédie et moi s’affermiraient infailliblement dans l’esprit de tout le monde, si je ne reprenais sur-le-champ le parti de traduire les comédiens aux tribunaux ordinaires, pour obtenir enfin un compte en règle de la Comédie. Mais, malgré mon mécontentement, il m’en coûtait trop de regarder comme perdues trois années entières employées à concilier l’affaire, pour aller en avant sans en avoir au moins prévenu M. le maréchal de Duras.

Le 2 août 1779, encore échauffé de la conférence des auteurs, j’écrivis à M. le maréchal la lettre suivante, qui se ressent un peu de la situation où leurs soupçons m’avaient jeté. Comme ce n’est pas une apologie, mais l’exact énoncé de ma conduite, que je trace ici, je ne veux pas plus omettre ce qui peut m’accuser auprès de quelques-uns, que ce qui doit m’excuser dans l’esprit de tous.

« Monsieur le Maréchal,

« Nous avez eu la bonté de me promettre d’as-