Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/705

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férence dont M. de Beaumarchais l’instruit que M. le maréchal de Duras désire ; et, pour qu’il ne l’oublie pas, il va lui écrire. Mais, comme il y a tribunal lundi, il présuppose que ce sera lundi matin : cependant M. le maréchal de Richelieu ne serait point étonné que cette affaire fût encore fort longue : car depuis bien des années il n’en a vu finir aucune, de ce genre surtout. »

D’où il résulte que tous ceux qui ont pris connaissance de mes travaux dans cette affaire sont de mon avis ; que les deux seuls premiers gentilshommes de la chambre qui se mêlent du spectacle ont pensé comme moi. Et puis qu’on trouve après, si l’on peut, d’où a pu sortir la diabolique opposition qui a toujours empêché que le bien ne se fît !

Le jour de l’assemblée venu (4 septembre 1779), M. le maréchal de Duras nous assura positivement que le roi n’approuvait point qu’on s’occupât d’un projet de règlement ; et qu’il fallait s’en tenir à l’objet pécuniaire du droit des auteurs, sur lequel j’étais le maître de revenir, en épuisant les moyens d'écarter un procès qui nuirait beaucoup aux comédiens ; et l’on me demanda si je ne voulais pas me prêter à de nouveaux essais.

Ma réponse, un peu sèche peut-être pour l’occasion, fut que j’allais en effet recommencer les recherches de mes droits d’auteur, puisque M. le maréchal assurait que le roi s’opposait à ce que ceux qui ont dix fois raison lui demandassent une fois justice. Et pour qu’on ne prît point le change sur ma résignation, j’ajoutai que, quel que fût l’espoir des comédiens d’éluder l’effet de mes recherches, j’assurais bien qu’ils pourraient me fatiguer, mais qu’ils ne me lasseraient point, et que je mettrais tout le temps et les soins convenables à découvrir jusqu’où la Comédie française pouvait porter le crédit d’être impunément injuste envers tous ceux que leur malheur mettait en relation avec elle.

J’allais me retirer, lorsque M. de la Ferté, intendant des menus, proposa, pour m’apaiser, de me remettre en main un état de recette et dépense de plusieurs années de la Comédie, sous ma promesse de ne le communiquer à personne, pas même à mes confrères, avant que j’eusse fait part à la même assemblée, que nous formions en ce moment, du résultat de mes travaux arithmétiques, et de l’évaluation que j’en tirerais du véritable droit des auteurs sur les représentations de leurs ouvrages.

Cette offre en effet m’arrêta. Je promis de suspendre le procès et de garder le secret sur les papiers qui me seraient confiés, ne demandant pas mieux que de réduire à des chiffres incontestables une question que trois ans de raisonnements et de débats n’avaient pas encore effleurée.

Je ne sais comment on s’y prit ; mais enfin, malgré les répugnances de la Comédie, je reçus par M. de la Ferté (21 septembre 1779) un état des dépenses de trois années et un état de recette, tant des petites loges que du casuel de la porte de la Comédie française, pour les trois mêmes années.

Enfin muni de ces états plutôt arrachés qu’obtenus, après quatre ans de soins perdus ; muni de tous les arrêts, lettres patentes et règlements passés, c’est de ce moment que je puis dire avoir commencé un travail un peu fructueux pour les auteurs mes confrères ; et c’est son résultat qui va faire la matière de ma seconde partie, plus essentielle que ma première.

SECONDE PARTIE
droits des acteurs usurpés par les comédiens.

Avant de chercher si la Comédie rend ou retient aux auteurs ce qui leur appartient sur les représentations de leurs ouvrages, il faut savoir en quoi consistent leurs droits ; quelle loi les a fondés ; en quel temps cette loi fut donnée ; quel était l’état du spectacle lors de sa promulgation si cet état est le même aujourd’hui qu’on dispute sur l’exécution de la loi. Toutes ces données sont indispensables, et la question à juger en découle nécessairement.

Il paraît que la première loi fut la convenance réciproque des contractants ; celui même par une suite de cette libre convenance que les comédiens, craignant de trop payer une pièce présentée en 1653 par Quinault, jeune encore, crurent la mettre au plus bas rabais en lui offrant le neuvième du produit des représentations qu’aurait sa pièce. Or ce plus bas rabais d’un ouvrage dédaigné, cette offre du neuvième de la recette, n’en est pas moins l’arrangement qui a subsisté depuis entre les auteurs et les comédiens.

Alors il dut paraître essentiel de fixer au moins jusqu’à quel terme ce neuvième de recette appartiendrait à l’auteur. Le plus naturel était celui qu’on choisit.

Les comédiens dirent aux auteurs : Nous avons l’été pour trois cents livres de frais par jour ; et l’hiver ils montent à cinq cents livres, à cause du feu, de la lumière et de l’augmentation de la garde aux portes. Vous avez droit au neuvième de la recette : mais quand nous ne faisons de recette que nos frais, vous sentez qu’il n’y a rien à partager ; et lorsque, après plusieurs essais, nous voyons que la recette ne remonte plus et que le goût du public est usé sur un ouvrage, vous devez consentir à ce que nous cessions de le représenter.

Cette règle était si simple et si juste, que les auteurs l’avaient adoptée sans conteste : aussi les premiers règlements qui furent envoyés aux comédiens par madame la Dauphine, en 1685, ne firent que sanctionner une convention si naturelle.