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EUGÉNIE, ACTE IV, SCÈNE XII.


madame murer, lui fermant la bouche de sa main.

N’épuisez pas le reste de vos forces, ma chère nièce. (Au comte.) Ainsi, tout ce qu’on rapporte à ce sujet n’est donc qu’un faux bruit ?

(Eugénie s’assied et couvre son visage de son mouchoir.)
le comte, moins ferme.

Daignez revenir sur le passé, et jugez vous-même : comment se pourrait-il…

madame murer, l’examinant.

Vous vous troublez !…

le comte, troublé.

Si je ne suis pas cru, j’aurai pour moi… j’invoquerai les bontés de ma chère Eugénie.

madame murer, froidement.

Pourquoi n’osez-vous l’appeler votre femme ?

eugénie, outrée, à elle-même.

Qui m’aurait dit que mon indignation pût s’accroître encore !

le comte, absolument déconcerté.

En vérité, madame, je ne conçois rien à ces étranges discours.

madame murer, avec fureur.

Démens donc, vil corrupteur, le témoignage de tes odieux complices ; démens celui de ta conscience, qui imprime sur ton front la difformité du crime confondu : lis.

[Elle lui donne la lettre de Williams. Le comte la lit. Madame Murer le regarde avec attention pendant qu’il lit.)
le comte a lu, et dit à part :

Tout est connu.

madame murer.

Il reste anéanti.

le comte, hésitant.

Je le suis en effet ; et je dois m’accuser, puisque toutes les apparences me condamnent. Oui, je suis coupable. La frayeur de vous perdre, et la crainte d’un oncle trop puissant, m’ont fait commettre la faute de m’assurer de vous par des voies illégitimes : mais je jure de tout réparer.

madame murer, à part.

Et plus tôt que tu ne crois.

le comte, plus vite.

Vous fûtes outragée sans doute, Eugénie ; mais votre vertu en est-elle moins pure ? A-t-elle pu souffrir un instant de mon injustice ? Un profond secret met votre honneur à couvert ; et si vous daigniez accepter ma main, à qui aurai-je fait tort qu’à moi ? L’amant et l’époux ne se confondront-ils pas aux yeux de mon Eugénie ? Ah ! l’égarement d’un jour, une fois pardonné, sera suivi d’un bonheur inaltérable.

eugénie se lève et le regarde avec dédain.

Ô le plus faux des hommes ! fuis loin de moi. J’ai en horreur tes justifications. Va jurer aux pieds d’une autre femme des sentiments que tu ne connus jamais. Je ne veux t’appartenir à aucun titre : je sais mourir.

{Elle entre dans sa chambre.)
madame murer, au comte, en entrant après elle et emportant la lumière.

L’abandonnerez-vous en cet état affreux ?

le comte, avec chaleur.

Non, je la suis.



Scène VIII


le COMTE, seul.

Elle se croit déshonorée : il suffit ; elle est à moi, elle sera à moi. Ah ! qu’ai-je fait ! Pour l’abandonner, il ne fallait pas la revoir.



Scène IX


le COMTE, sir CHARLES rentrant.
sir charles, dans l’obscurité.

Milord ?

le comte.

Est-ce vous, chevalier Campley ?

sir charles.

C’est moi.

le comte.

Pardon : encore un moment, et nous sortons ensemble.

(Il veut entrer chez Eugénie.)
sir charles, l’arrêtant par le bras.

Mais ne craignez-vous rien, milord ? Pour une heure aussi avancée, je vois bien du monde sur pied.

le comte, n’écoutant point.

Ce sont des valets : je vous rejoins.



Scène


sir CHARLES, seul, d’un air de méfiance.

Il y a un grand mouvement dans cette maison : on va, l’on court. J’ai vu du monde dans le jardin : on vient d’en fermer la porte… Il a l’air troublé, milord… L’explication doit avoir été orageuse.



Scène XI


sir CHARLES, madame MURER.
madame murer sort de la chambre d’Eugénie sans lumière, et dit à elle-même en marchant.

Le voilà à ses genoux, l’instant est favorable : allons.

(Elle traverse le salon et sort par la porte du jardin.)



Scène XII


sir CHARLES, seul, écoute, et n’entendant plus rien dit :

Ha ! ha ! cette voix a un rapport singulier… (Il se promène en faisant le geste de quelqu’un qui rejette une