Qu’as-tu donc promis tout à l’heure ?
Je rendais hommage à la vertu malheureuse : sa douleur était plus forte qu’un million de bras armés. Elle amollissait mon cœur, elle allait triompher ; mais je méprise des assassins.
M’as-tu cru capable de l’être ? Juges-tu de moi par le déshonneur où tu nous plonges ?
Saisissez-le.
Arrêtez !
Saisissez-le, vous dis-je.
Le premier qui fait un pas…
Laissez faire mon fils.
Ma présence vous rend ici, milord, ce que vous avez fait pour moi : nous sommes quittes. Les moyens qu’on emploie contre vous sont indignes de gens de notre état. Voilà votre épée. (Il la lui présente.) C’est désormais contre moi seul que vous en ferez usage. Vous êtes libre, milord, sortez. Je vais assurer votre retraite : nous nous verrons demain.
Monsieur, je… j’y compte… je vous attendrai chez moi.
Scène XVIII
C’était donc pour l’arracher de nos mains que tu t’es rencontré ici ?
Vous me plaindrez tous, lorsque vous saurez… Vous serez vengés, n’en doutez pas… Mais cette Eugénie, dont toute la famille était si vaine…
Sir Charles… vengez votre sœur, et ne l’accusez pas. Elle est l’innocente victime… Entrons chez elle ; venez, vous frémirez de mon récit.
Elle n’est pas coupable ! Ah ! ma sœur ! pardonne mon erreur. Reçois… (Il lui prend les mains.) Elle ne m’entend pas. (À sa tante.) Ne songez qu’à la secourir.
Scène XIX
Et vous, mon père, recevez pour elle le serment que je fais… Oui, si la rage qui me possède ne m’a pas étouffé ; si le feu qui dévore le sang de cette infortunée ne l’a pas tari avant le jour, je jure, par vous, qu’une vengeance éclatante aura devancé sa mort.
Viens, mon cher fils.
Betsy sort de l’appartement d’Eugénie, très-affligée, un bougeoir à la main, car il est pleine nuit. Elle va chez madame Murer, et en rapporte une cave à flacons qu’elle pose sur la table du salon, ainsi que sa lumière. Elle ouvre la cave, et examine si ces flacons sont ceux qu’on demande. Elle porte ensuite la cave chez sa maîtresse, après avoir allumé les bougies qui sont sur la table. Un instant après, le baron sort de chez sa fille d’un air pénétré, tenant d’une main un bougeoir allumé, et de l’autre cherchant une clef dans ses goussets ; il s’en va par la porte du vestibule qui conduit chez lui, et en revient promptement avec un flacon de sels, ce qui annonce qu’Eugénie est dans une crise affreuse. Il rentre chez elle. On sonne de l’intérieur ; un laquais arrive au coup de sonnette. Betsy vient de l’appartement de sa maîtresse en pleurant, et lui dit tout bas de rester au salon pour être plus à portée. Elle sort par le vestibule. Le laquais s’assied sur le canapé du fond, et s’étend en bâillant de fatigue. Betsy revient avec une serviette sur son bras, une écuelle de porcelaine couverte à la main ; elle rentre chez Eugénie. Un moment après les acteurs paraissent, le valet se retire, et le cinquième acte commence. Il serait assez bien que l’orchestre, pendant cet entr’acte, ne jouât que de la musique douce et triste, même avec des sourdines, comme si ce n’était qu’un bruit éloigné de quelque maison voisine ; le cœur de tout le monde est trop en presse dans celle-ci pour qu’on puisse supposer qu’il s’y fait de la musique.
ACTE CINQUIÈME
Scène I
Passons ici, maintenant qu’elle est un peu calmée ; nous y parlerons avec plus de liberté.