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LES DEUX AMIS, ACTE V, SCÈNE III.


MÉLAC FILS, à part, avec effroi.

Qu’il vienne !

PAULINE.

Il est important que je lui parle.

AURELLY.

Il sera ici dans un moment. Mon enfant, je connais tes principes, dispose de toi-même à ton gré : je ne puis mettre en de plus sûres mains des intérêts si chers à mon cœur.



Scène XII


PAULINE, MÉLAC fils.
MÉLAC FILS, tremblant.

Mademoiselle…

PAULINE.

Vous voyez bien que le danger de votre père est pressant : quel intérêt oserait se montrer auprès de celui-là ?

MÉLAC FILS.

Ah ! mon père, mon père !… (En hésitant.) Ainsi vous rappelez Saint-Alban ?

PAULINE.

Il est indispensable que je le voie ; consentez-y, Mélac, il le faut… Il faut me rendre ma parole.

MÉLAC FILS, avec une colère renfermée.

Non, vous pouvez me trahir ; mais il ne me sera pas reproché d’y avoir contribué par un lâche consentement.

PAULINE, tendrement.

Te le demanderais-je, ingrat, si j’avais dessein d’en abuser ? — Qui vous dit que je veuille l’épouser ?

MÉLAC FILS.

Serez-vous la maîtresse de vos refus ?

PAULINE.

Vous n’êtes pas généreux d’accabler ainsi mon âme. Ah ! j’avais des forces contre ma douleur, je n’en ai plus contre la vôtre.

MÉLAC FILS.

Pauline !

PAULINE.

Pense à ton père, à ton père respectable, et tu rougiras d’attendre de moi l’exemple du courage que tu devais me donner.

MÉLAC FILS, étouffé par la douleur.

Je sens que je ne puis vivre sans votre estime, il me faut la mienne. Il faut sauver mon père… aux dépens de mes jours… Ah ! Pauline !

PAULINE.

Ah ! Mélac !

(Ils sortent chacun de leur côté.)


ACTE CINQUIÈME



Scène I


PAULINE, seule, tenant un billet à la main.
(Elle paraît dans une grande agitation ; elle se promène, s’assied, se lève, et dit :)

Voici l’instant qui doit décider de notre sort. (Elle lit.) Il attend mes ordres, dit-il… Audacieux qu’ils sont, avec leur soumission insultante !… Pourquoi trembler ? l’aveu que je vais lui faire ne peut que m’honorer. — Ah !… je pleure, et je me soutiens à peine. — Mon état ne se conçoit pas. — S’il me surprenait à pleurer… (Elle s’assied.) Eh bien, qu’il me voie ! Ne suis-je pas assez malheureuse pour qu’on me pardonne un peu de faiblesse ?



Scène II


ANDRÉ, PAULINE.
ANDRÉ, annonçant.

Monsieur Saint-Alban.

PAULINE.

Un moment, André.

(Elle essuie ses yeux, se promène, se regarde dans une glace, et soupire.)
ANDRÉ.

Mais, mameselle, monsieur Saint-Alban…

PAULINE, avec impatience.

Répétez encore.

ANDRÉ.

Il sort de chez votre oncle : oh ! il a un habit…

PAULINE, à elle-même.

C’est en vain. Il m’est impossible… (S’asseyant.) Faites entrer.



Scène III


SAINT-ALBAN, PAULINE, ANDRÉ.
SAINT-ALBAN, en habit de ville, entre d’un air mal assuré ; il reste assez loin derrière Pauline.

Je me rends à vos ordres, mademoiselle.

PAULINE se lève et salue.

(À part.) À mes ordres !

(Sa respiration se précipite, et l’empêche de parler. Elle lui montre un siége, en l’invitant du geste à s’y reposer.)
SAINT-ALBAN la regarde, et après un assez long silence :

Ma vue paraît vous causer quelque altération. Et cependant M. Aurelly vient de m’assurer…

(André avance un siége à Saint-Alban.)
PAULINE, avec peine d’abord, et prenant du courage par degrés.

Oui… c’est moi qui l’en ai prié. — Asseyez-vous,