Pardon, pardon, seigneur Alonzo, si vous m’avez trouvé méfiant et dur ; mais je suis tellement entouré d’intrigants, de piéges… et puis votre tournure, votre âge, votre air… Pardon, pardon. Eh bien ! vous avez la lettre ?
À la bonne heure sur ce ton, monsieur. Mais je crains qu’on ne soit aux écoutes.
Eh ! qui voulez-vous ? tous mes valets sur les dents ! Rosine enfermée de fureur ! Le diable est entré chez moi. Je vais m’assurer…
Je me suis enferré de dépit. Garder la lettre à présent ! il faudra m’enfuir : autant vaudrait n’être pas venu… La lui montrer !… Si je puis en prévenir Rosine, la montrer est un coup de maître.
Elle est assise auprès de sa fenêtre, le dos tourné à la porte, occupée à relire une lettre de son cousin l’officier, que j’avais décachetée… Voyons donc la sienne.
La voici. (À part.) C’est ma lettre qu’elle relit.
« Depuis que vous m’avez appris votre nom et votre état. » Ah ! la perfide ! c’est bien là sa main.
Parlez donc bas à votre tour.
Quelle obligation, mon cher !
Quand tout sera fini, si vous croyez m’en devoir, vous serez le maître. D’après un travail que fait actuellement don Basile avec un homme de loi…
Avec un homme de loi ! pour mon mariage ?
Vous aurais-je arrêté sans cela ? Il m’a chargé de vous dire que tout peut être prêt pour demain. Alors, si elle résiste…
Elle résistera.
Voilà l’instant où je puis vous servir : nous lui montrerons sa lettre ; et s’il le faut (plus mystérieusement), j’irai jusqu’à lui dire que je la tiens d’une femme à qui le comte l’a sacrifiée. Vous sentez que le trouble, la honte, le dépit, peuvent la porter sur-le-champ…
De la calomnie ! Mon cher ami, je vois bien maintenant que vous venez de la part de Basile ! Mais pour que ceci n’eût pas l’air concerté, ne serait-il pas bon qu’elle vous connût d’avance ?
C’était assez l’avis de don Basile. Mais comment faire ? il est tard… au peu de temps qui reste…
Je dirai que vous venez en sa place. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon ?
Il n’y a rien que je ne fasse pour vous plaire. Mais prenez garde que toutes ces histoires de maîtres supposés sont de vieilles finesses, des moyens de comédie : si elle va se douter…
Présenté par moi ? Quelle apparence ? Vous avez plus l’air d’un amant déguisé que d’un ami officieux.
Oui ? Vous croyez donc que mon air peut aider à la tromperie ?
Je le donne au plus fin à deviner. Elle est ce soir d’une humeur horrible. Mais quand elle ne ferait que vous voir… son clavecin est dans ce cabinet. Amusez-vous en l’attendant : je vais faire l’impossible pour l’amener.
Gardez-vous bien de lui parler de la lettre !
Avant l’instant décisif ? Elle perdrait tout son effet. Il ne faut pas me dire deux fois les choses : il ne faut pas me les dire deux fois.
Scène III
Me voilà sauvé. Ouf ! que ce diable d’homme est rude à manier ! Figaro le connaît bien. Je me voyais mentir ; cela me donnait un air plat et gauche, et il a des yeux !… Ma foi, sans l’inspiration subite de la lettre, il faut l’avouer, j’étais éconduit comme un sot. Ô ciel ! on dispute là-dedans. Si elle allait s’obstiner à ne pas venir ! Écoutons… Elle refuse de sortir de chez elle, et j’ai perdu le fruit de ma ruse. (Il retourne écouter.) La voici ; ne nous montrons pas d’abord.
Scène IV
Tout ce que vous direz est inutile, monsieur, j’ai pris mon parti ; je ne veux plus entendre parler de musique.
Écoute donc, mon enfant ; c’est le seigneur Alonzo, l’élève et l’ami de don Basile, choisi par lui pour être un de nos témoins. — La musique te calmera, je t’assure.