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Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/181

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Basile.

Ah ! je comprends…

Le Comte.

Allez vous coucher, mon cher Basile : vous n’êtes pas bien, et vous nous faites mourir de frayeur. Allez vous coucher.

Figaro.

Il a la physionomie toute renversée. Allez vous coucher.

Bartholo.

D’honneur, il sent la fièvre d’une lieue. Allez vous coucher.

Rosine.

Pourquoi êtes-vous donc sorti ? On dit que cela se gagne. Allez vous coucher.

Basile, au dernier étonnement.

Que j’aille me coucher !

Tous les acteurs ensemble.

Eh ! sans doute.

Basile, les regardant tous.

En effet, messieurs, je crois que je ne ferai pas mal de me retirer ; je sens que je ne suis pas ici dans mon assiette ordinaire.

Bartholo.

À demain, toujours, si vous êtes mieux.

Le Comte.

Basile, je serai chez vous de très bonne heure.

Figaro.

Croyez-moi, tenez-vous bien chaudement dans votre lit.

Rosine.

Bonsoir, monsieur Basile.

Basile, à part.

Diable emporte si j’y comprends rien ! et, sans cette bourse…

Tous.

Bonsoir, Basile, bonsoir.

Basile, en s’en allant.

Eh bien ! bonsoir donc, bonsoir.

(Ils l’accompagnent tous en riant.)



Scène XII

Les acteurs précédents, excepté BASILE.
Bartholo, d’un ton important.

Cet homme-là n’est pas bien du tout.

Rosine.

Il a les yeux égarés.

Le Comte.

Le grand air l’aura saisi.

Figaro.

Avez-vous vu comme il parlait tout seul ? Ce que c’est que de nous ! (À Bartholo.) Ah çà, vous décidez-vous, cette fois ?

(Il lui pousse un fauteuil très loin du comte, et lui présente le linge.)
Le Comte.

Avant de finir, madame, je dois vous dire un mot essentiel au progrès de l’art que j’ai l’honneur de vous enseigner.

(Il s’approche, et lui parle bas à l’oreille.)
Bartholo, à Figaro.

Eh mais ! il semble que vous le fassiez exprès de vous approcher, et de vous mettre devant moi pour m’empêcher de voir…

Le Comte, bas à Rosine.

Nous avons la clef de la jalousie, et nous serons ici à minuit.

Figaro passe le linge au cou de Bartholo.

Quoi voir ? Si c’était une leçon de danse, on vous passerait d’y regarder ; mais du chant !… ahi, ahi !

Bartholo.

Qu’est-ce que c’est ?

Figaro.

Je ne sais ce qui m’est entré dans l’œil.

(Il rapproche sa tête.)
Bartholo.

Ne frottez donc pas !

Figaro.

C’est le gauche. Voudriez-vous me faire le plaisir d’y souffler un peu fort ?

(Bartholo prend la tête de Figaro, regarde par-dessus, le pousse violemment, et va derrière les amants écouter leur conversation.)

Le Comte, bas à Rosine.

Et quant à votre lettre, je me suis trouvé tantôt dans un tel embarras pour rester ici…

Figaro, de loin, pour avertir.

Hem ! hem !…

Le Comte.

Désolé de voir encore mon déguisement inutile…

Bartholo, passant entre eux deux.

Votre déguisement inutile !

Rosine, effrayée.

Ah !…

Bartholo.

Fort bien, madame, ne vous gênez pas. Comment ! sous mes yeux mêmes, en ma présence, on m’ose outrager de la sorte !

Le Comte.

Qu’avez-vous donc, seigneur ?

Bartholo.

Perfide Alonzo !

Le Comte.

Seigneur Bartholo, si vous avez souvent des lubies comme celle dont le hasard me rend témoin, je ne suis plus étonné de l’éloignement que mademoiselle a pour devenir votre femme.

Rosine.

Sa femme ! moi ! passer mes jours auprès d’un vieux jaloux qui, pour tout bonheur, offre à ma jeunesse un esclavage abominable !

Bartholo.

Ah ! qu’est-ce que j’entends ?

Rosine.

Oui, je le dis tout haut : je donnerai mon cœur