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Suzanne s’assied près de la comtesse.

Et la plus belle de toutes.

(Elle chante avec des épingles dans sa bouche.)

Tournez-vous donc envers ici,
Jean de Lyra, mon bel ami.

(Chérubin se met à genoux. Elle le coiffe.)

Madame, il est charmant !

La Comtesse.

Arrange son collet d’un air un peu plus féminin.

Suzanne l’arrange.

Là… mais voyez donc ce morveux, comme il est joli en fille ! J’en suis jalouse, moi ! (Elle lui prend le menton.) Voulez-vous bien n’être pas joli comme ça ?

La Comtesse.

Qu’elle est folle ! Il faut relever la manche, afin que l’amadis prenne mieux… (Elle le retrousse.) Qu’est-ce qu’il a donc au bras ? Un ruban ?

Suzanne.

Et un ruban à vous. Je suis bien aise que madame l’ait vu. Je lui avais dit que je le dirais, déjà ! Oh ! si monseigneur n’était pas venu, j’aurais bien repris le ruban, car je suis presque aussi forte que lui.

La Comtesse.

Il y a du sang !

(Elle détache le ruban.)
Chérubin, honteux.

Ce matin, comptant partir, j’arrangeais la gourmette de mon cheval ; il a donné de la tête, et la bossette m’a effleuré le bras.

La Comtesse.

On n’a jamais mis un ruban…

Suzanne.

Et surtout un ruban volé. — Voyons donc ce que la bossette… la courbette… la cornette du cheval… Je n’entends rien à tous ces noms-là. — Ah ! qu’il a le bras blanc ! c’est comme une femme ! plus blanc que le mien ! Regardez donc, madame !

(Elle les compare.)
La Comtesse, d’un ton glacé.

Occupez-vous plutôt de m’avoir du taffetas gommé dans ma toilette.

(Suzanne lui pousse la tête en riant ; il tombe sur les deux mains. Elle entre dans le cabinet au bord du théâtre.)



Scène VII

CHÉRUBIN, à genoux ; LA COMTESSE, assise.
La Comtesse reste un moment sans parler, les yeux sur son ruban. Chérubin la dévore de ses regards.

Pour mon ruban, monsieur… comme c’est celui dont la couleur m’agrée le plus… j’étais fort en colère de l’avoir perdu.



Scène VIII

CHÉRUBIN, à genoux ; LA COMTESSE, assise ; SUZANNE.
Suzanne, revenant.

Et la ligature à son bras ?

(Elle remet à la comtesse du taffetas gommé et des ciseaux.)
La Comtesse.

En allant lui chercher tes hardes, prends le ruban d’un autre bonnet. (Suzanne sort par la porte du fond, en emportant le manteau du page.)



Scène IX

CHÉRUBIN, à genoux ; LA COMTESSE, assise.
Chérubin, les yeux baissés.

Celui qui m’est ôté m’aurait guéri en moins de rien.

La Comtesse.

Par quelle vertu ? (Lui montrant le taffetas.) Ceci vaut mieux.

Chérubin, hésitant.

Quand un ruban… a serré la tête… ou touché la peau d’une personne…

La Comtesse, coupant la phrase.

… Étrangère, il devient bon pour les blessures ? J’ignorais cette propriété. Pour l’éprouver, je garde celui-ci qui vous a serré le bras. À la première égratignure… de mes femmes, j’en ferai l’essai.

Chérubin, pénétré.

Vous le gardez, et moi je pars !

La Comtesse.

Non pour toujours.

Chérubin.

Je suis si malheureux !

La Comtesse, émue.

Il pleure à présent ! C’est ce vilain Figaro avec son pronostic !

Chérubin, exalté.

Ah ! je voudrais toucher au terme qu’il m’a prédit ! Sûr de mourir à l’instant, peut-être ma bouche oserait…

La Comtesse l’interrompt, et lui essuie les yeux avec son mouchoir.

Taisez-vous, taisez-vous, enfant. Il n’y a pas un brin de raison dans tout ce que vous dites. (On frappe à la porte, elle élève la voix.) Qui frappe ainsi chez moi ?



Scène X

CHÉRUBIN, LA COMTESSE ; LE COMTE, en dehors.
Le Comte, en dehors.

Pourquoi donc enfermée ?