Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

essayait des hardes que je lui donne en la mariant ; elle s’est enfuie, quand elle vous a entendu.

Le Comte.

Si elle craint tant de se montrer, au moins elle peut parler. (Il se tourne vers la porte du cabinet.) Répondez-moi, Suzanne ; êtes-vous dans ce cabinet ?

(Suzanne, restée au fond, se jette dans l’alcôve et s’y cache.)
La Comtesse, vivement, tournée vers le cabinet.

Suzon, je vous défends de répondre. (Au Comte.) On n’a jamais poussé si loin la tyrannie !

Le Comte s’avance vers le cabinet.

Oh ! bien, puisqu’elle ne parle pas, vêtue ou non, je la verrai.

La Comtesse se met au-devant.

Partout ailleurs je ne puis l’empêcher ; mais j’espère aussi que chez moi…

Le Comte.

Et moi j’espère savoir dans un moment quelle est cette Suzanne mystérieuse. Vous demander la clef serait, je le vois, inutile ; mais il est un moyen sûr de jeter en dedans cette légère porte. Holà, quelqu’un !

La Comtesse.

Attirer vos gens, et faire un scandale public d’un soupçon qui nous rendrait la fable du château ?

Le Comte.

Fort bien, madame. En effet, j’y suffirai ; je vais à l’instant prendre chez moi ce qu’il faut… (Il marche pour sortir, et revient.) Mais, pour que tout reste au même état, voudrez-vous bien m’accompagner sans scandale et sans bruit, puisqu’il vous déplaît tant ?… Une chose aussi simple, apparemment, ne me sera pas refusée !

La Comtesse, troublée.

Eh ! monsieur, qui songe à vous contrarier ?

Le Comte.

Ah ! j’oubliais la porte qui va chez vos femmes ; il faut que je la ferme aussi, pour que vous soyez pleinement justifiée.

(Il va fermer la porte du fond et en ôte la clef.)
La Comtesse, à part.

Ô ciel ! étourderie funeste !

Le Comte, revenant à elle.

Maintenant que cette chambre est close, acceptez mon bras, je vous prie ; (il élève la voix) et quant à la Suzanne du cabinet, il faudra qu’elle ait la bonté de m’attendre ; et le moindre mal qui puisse lui arriver à mon retour…

La Comtesse.

En vérité, monsieur, voilà bien la plus odieuse aventure…

(Le Comte l’emmène et ferme la porte à la clef.)



Scène XIV

SUZANNE, CHÉRUBIN.
Suzanne sort de l’alcôve, accourt au cabinet et parle à travers la serrure.

Ouvrez, Chérubin, ouvrez vite, c’est Suzanne ; ouvrez, et sortez.

Chérubin sort.

Ah ! Suzon, quelle horrible scène !

Suzanne.

Sortez, vous n’avez pas une minute !

Chérubin, effrayé.

Et par où sortir ?

Suzanne.

Je n’en sais rien, mais sortez.

Chérubin.

S’il n’y a pas d’issue ?

Suzanne.

Après la rencontre de tantôt, il vous écraserait, et nous serions perdues. — Courez conter à Figaro…

Chérubin.

La fenêtre du jardin n’est peut-être pas bien haute.

(Il court y regarder.)
Suzanne, avec effroi.

Un grand étage ! impossible ! Ah ! ma pauvre maîtresse ! Et mon mariage ? ô ciel !

Chérubin revient.

Elle donne sur la melonnière : quitte à gâter une couche ou deux.

Suzanne le retient et s’écrie :

Il va se tuer !

Chérubin, exalté.

Dans un gouffre allumé, Suzon ! oui, je m’y jetterais plutôt que de lui nuire… Et ce baiser va me porter bonheur.

(Il l’embrasse et court sauter par la fenêtre.)



Scène XV

SUZANNE, seule ; un cri de frayeur.

Ah !… (Elle tombe assise un moment. Elle va péniblement regarder à la fenêtre et revient.) Il est déjà bien loin. Ô le petit garnement ! aussi leste que joli ! Si celui-là manque de femmes… Prenons sa place au plus tôt. (En entrant dans le cabinet.) Vous pouvez à présent, monsieur le comte, rompre la cloison, si cela vous amuse ; au diantre qui répond un mot !

(Elle s’y enferme.)



Scène XVI

LE COMTE, LA COMTESSE rentrent dans la chambre.
Le Comte, une pince à la main, qu’il jette sur le fauteuil.

Tout est bien comme je l’ai laissé. Madame, en