Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/272

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Figaro : Va ! je n’ai garde ; ne crains rien.

Guillaume : Mon maître, il dit, Meissieïr, vous âfre tout l’esprit, et moi pas… Alors c’est chuste… Mais, peut-être ché suis mécontent d’avoir dit à fous…

Figaro : Et pourquoi ?

Guillaume : Ché sais pas. — La valet trahir, voye-fous… L’être un péché qu’il est parpare, vil, et même… puéril.

Figaro : Il est vrai ; mais tu n’as rien dit.

Guillaume, désolé : Mon Thié ! Mon Thié ! ché sais pas, là… quoi tire… ou non… (Il se retire en soupirant.) Ah ! (Il regarde niaisement les livres de la bibliothèque.)

Figaro, à part : Quelle découverte ? Hasard ! je te salue. (Il cherche ses tablettes.) Il faut pourtant que je démêle comment un homme si caverneux s’arrange d’un tel imbécile… De même que les brigands redoutent les réverbères… Oui, mais un sot est un falot ; la lumière passe à travers. (Il dit en écrivant sur ses tablettes.) O’Connor, banquier irlandais. C’est là qu’il faut que j’établisse mon noir comité de recherches. Ce moyen-là n’est pas trop constitutionnel ; ma ! perdio ! l’utilité ! Et puis, j’ai mes exemples ! (Il écrit.) Quatre ou cinq louis d’or au valet chargé du détail de la poste, pour ouvrir dans un cabaret chaque lettre de l’écriture d’Honoré-Tartuffe Bégearss… Monsieur le tartuffe honoré ! vous cesserez enfin de l’être ! Un dieu m’a mis sur votre piste. (Il serre ses tablettes.) Hasard ! dieu méconnu ! les anciens t’appelaient destin ! nos gens te donnent un autre nom…

Scène IX : La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss, Figaro, Guillaume.

Bégearss aperçoit Guillaume, et lui dit avec humeur, en prenant la lettre : Ne peux-tu pas me les garder chez moi ?

Guillaume : Ché crois, celui-ci c’est tout comme… (Il sort.)

La Comtesse, au Comte : Monsieur, ce buste est un très beau morceau : votre fils l’a-t-il vu ?

Bégearss, la lettre ouverte : Ah ! lettre de Madrid ! du secrétaire du ministre ! Il y a un mot qui vous regarde. (Il lit.) "Dites au Comte Almaviva, que le courrier, qui part demain, lui porte l’agrément du Roi pour l’échange de toutes ses terres." (Figaro écoute, et se fait, sans parler, un signe d’intelligence.)

La Comtesse : Figaro, dis donc à mon fils que nous déjeunons tous ici.

Figaro : Madame, je vais l’avertir. (Il sort.)

Scène X : La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss.

Le Comte, à Bégearss : J’en veux donner avis sur-le-champ à mon acquéreur. Envoyez-moi du thé dans mon arrière-cabinet.

Florestine : Bon papa, c’est moi qui vous le porterai.

Le Comte, bas, à Florestine : Pense beaucoup au peu que je t’ai dit. (Il la baise au front et sort.)

Scène XI : Léon, La Comtesse, Florestine, Bégearss.

Léon, avec chagrin : Mon père s’en va quand j’arrive ! il m’a traité avec une rigueur…

La Comtesse, sévèrement : Mon fils, quels discours tenez-vous ? dois-je me voir toujours froissée par l’injustice de chacun ? Votre père a besoin d’écrire à la personne qui échange ses terres.

Florestine, gaiement : Vous regrettez votre papa ? nous aussi nous le regrettons. Cependant, comme il sait que c’est aujourd’hui votre fête, il m’a chargée, Monsieur, de vous présenter ce bouquet. (Elle lui fait une grande révérence.)

Léon, pendant qu’elle l’ajuste à sa boutonnière : Il n’en pouvait prier quelqu’un qui me rendît ses bontés aussi chères… (Il l’embrasse.)

Florestine, se débattant : Voyez, Madame, si on peut jamais badiner avec lui, sans qu’il abuse au même instant…

La Comtesse, souriant : Mon enfant, le jour de sa fête, on peut lui passer quelque chose.

Florestine, baissant les yeux : Pour l’en punir, Madame, faites-lui lire le discours qui fut, dit-on, tant applaudi hier à l’assemblée.

Léon : Si Maman juge que j’ai tort, j’irai chercher ma pénitence.

Florestine : Ah ! Madame, ordonnez-le-lui.