Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/279

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revenir sur un sujet si douloureux, j’exige que le sacrifice en soit fait dans ce même instant.

La Comtesse, tremblante : Je crois entendre Dieu qui parle ! il m’ordonne de l’oublier ; de déchirer le crêpe obscur dont sa mort a couvert ma vie. Oui, mon Dieu ! je vais obéir à cet ami que vous m’avez donné. (Elle sonne.) Ce qu’il exige en votre nom, mon repentir le conseillait ; mais ma faiblesse a combattu.

Scène III : Suzanne, La Comtesse, Bégearss.

La Comtesse : Suzanne ! apporte-moi le coffret de mes diamants. — Non, je vais le prendre moi-même, il te faudrait chercher la clef…

Scène IV : Suzanne, Bégearss.

Suzanne, un peu troublée : Monsieur Bégearss de quoi s’agit-il donc ? Toutes les têtes sont renversées ! Cette maison ressemble à l’hôpital des fous ! Madame pleure ; Mademoiselle étouffe. Le chevalier Léon parle de se noyer ; Monsieur est enfermé et ne veut voir personne. Pourquoi ce coffre aux diamants inspire-t-il en ce moment tant d’intérêt à tout le monde ?

Bégearss, mettant son doigt sur sa bouche, en signe de mystère : Chut ! Ne montre ici nulle curiosité ! Tu le sauras dans peu… Tout va bien ; tout est bien… Cette journée vaut… Chut !…

Scène V : La Comtesse, Bégearss, Suzanne.

La Comtesse, tenant le coffret aux diamants : Suzanne, apporte-nous du feu dans le brasero du boudoir.

Suzanne : Si c’est pour brûler des papiers, la lampe de nuit allumée est encore là dans l’athénienne. (Elle l’avance.)

La Comtesse : Veille à la porte, et que personne n’entre.

Suzanne, en sortant, à part : Courons avant, avertir Figaro.

Scène VI : La Comtesse, Bégearss.

Bégearss : Combien j’ai souhaité pour vous le moment auquel nous touchons !

La Comtesse, étouffée : O mon ami ! quel jour nous choisissons pour consommer ce sacrifice ! celui de la naissance de mon malheureux fils ! A cette époque, tous les ans, leur consacrant cette journée, je demandais pardon au ciel, et je m’abreuvais de mes larmes en relisant ces tristes lettres. Je me rendais au moins le témoignage qu’il y eut entre nous plus d’erreur que de crime. Ah ! faut-il donc brûler tout ce qui me reste de lui ?

Bégearss : Quoi, Madame ? détruisez-vous ce fils qui vous le représente ? ne lui devez-vous pas un sacrifice qui le préserve de mille affreux dangers ? vous vous le devez à vous-même ! et la sécurité de votre vie entière est attachée peut-être à cet acte imposant ! (Il ouvre le secret de l’écrin et en tire les lettres.)

La Comtesse, surprise : Monsieur Bégearss, vous l’ouvrez mieux que moi… Que je les lise encore !

Bégearss, sévèrement : Non, je ne le permettrai pas.

La Comtesse : Seulement la dernière, où, traçant ses tristes adieux du sang qu’il répandit pour moi, il m’a donné la leçon du courage dont j’ai tant besoin aujourd’hui.

Bégearss, s’y opposant : Si vous lisez un mot, nous ne brûlerons rien. Offrez au ciel un sacrifice entier, courageux, volontaire, exempt des faiblesses humaines ou si vous n’osez l’accomplir, c’est à moi d’être fort pour vous. Les voilà toutes dans le feu. (Il y jette le paquet.)

La Comtesse, vivement : Monsieur Bégearss ! cruel ami ! C’est ma vie que vous consumez ! qu’il m’en reste au moins un lambeau. (Elle veut se précipiter sur les lettres enflammées. Bégearss la retient à bras-le-corps.)

Bégearss : J’en jetterai la cendre au vent.

Scène VII : Suzanne, Le Comte, Figaro, La Comtesse, Bégearss.

Suzanne, accourt : C’est Monsieur, il me suit ; mais amené par Figaro.

Le Comte, les surprenant en cette posture : Qu’est-ce donc que je vois, Madame ! d’où vient ce désordre ? quel est ce feu, ce coffre, ces papiers ? pourquoi ce débat et ces pleurs ? (Bégearss et la Comtesse restent confondus.)

Le Comte : Vous ne répondez point ?