Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/294

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Léon, vite.

J’y cours.

Le Comte, vite.

Léon !

La Comtesse, vite.

Mon fils !

Florestine, vite.

Mon frère !

Le Comte.

Léon ! je vous défends… (A Bégearss.) Vous vous êtes rendu indigne de l’honneur que vous demandez. Ce n’est point par cette voie-là qu’un homme comme vous doit terminer sa vie.

(Bégearss fait un geste affreux, sans parler.)
Figaro, arrêtant Léon, vivement.

Non, jeune homme ! vous n’irez point : monsieur votre père a raison, et l’opinion est réformée sur cette horrible frénésie ; on ne combattra plus ici que les ennemis de l’État. Laissez-le en proie à sa fureur ; et s’il ose vous attaquer, défendez-vous comme d’un assassin ; personne ne trouve mauvais qu’on tue une bête enragée ; mais il se gardera de l’oser : l’homme capable de tant d’horreurs doit être aussi lâche que vil.

Bégearss, hors de lui.

Malheureux !

Le Comte, frappant du pied.

Nous laissez-vous enfin ? c’est un supplice de vous voir.

(La Comtesse est effrayée sur son siège ; Florestine et Suzanne la soutiennent ; Léon se réunit à elles.)

Bégearss, les dents serrées.

Oui, morbleu ! je vous laisse ; mais j’ai la preuve en main de votre infâme trahison ! Vous n’avez demandé l’agrément de Sa Majesté, pour échanger vos biens d’Espagne, que pour être à portée de troubler sans péril l’autre côté des Pyrénées.

Le Comte.

O monstre ! que dit-il ?

Bégearss.

Ce que je vais dénoncer à Madrid. N’y eût-il que le buste en grand d’un Washington dans votre cabinet, j’y fais confisquer tous vos biens.

Figaro, criant.

Certainement : le tiers au dénonciateur !

Bégearss.

Mais, pour que vous n’échangiez rien, je cours chez notre ambassadeur arrêter dans ses mains l’agrément de Sa Majesté, que l’on attend par ce courrier.

Figaro, tirant un paquet de sa poche, s’écrie vivement :

L’agrément du roi ? le voici ; j’avais prévu le coup ; je viens, de votre part, d’enlever le paquet au secrétariat d’ambassade. Le courrier d’Espagne arrivait !

(Le Comte, avec vivacité, prend le paquet.)
Bégearss, furieux, frappe sur son front, fait deux pas pour sortir, et se retourne.

Adieu, famille abandonnée ! maison sans mœurs et sans honneur ! Vous aurez l’impudeur de conclure un mariage abominable, en unissant le frère avec sa sœur ; mais l’univers saura votre infamie.

(Il sort.)

Scène VIII et dernière

LES PRÉCÉDENTS, excepté BÉGEARSS.
Figaro, follement.

Qu’il fasse des libelles, dernière ressource des lâches ! il n’est plus dangereux. Bien démasqué, à bout de voie, et pas vingt-cinq louis dans le monde ! Ah ! Monsieur Fal ! je me serais poignardé s’il eût gardé les deux mille louis qu’il avait soustraits du paquet ! (Il reprend un ton grave.) D’ailleurs, nul ne sait mieux que lui que, par la nature et la loi, ces jeunes gens ne se sont rien, qu’ils sont étrangers l’un à l’autre.

Le Comte, l’embrasse et crie :

O Figaro !… Madame, il a raison.

Léon, très-vite.

Dieux ! maman ! quel espoir !

Florestine, au comte.

Eh quoi ! monsieur, n’êtes-vous plus…

Le Comte, ivre de joie.

Mes enfants, nous y reviendrons ; et nous consulterons, sous des noms supposés, des gens de loi discrets, éclairés, pleins d’honneur. O mes enfants ! il vient un âge où les honnêtes gens se pardonnent leurs torts, leurs anciennes faiblesses ; font succéder un doux attachement aux passions orageuses qui les avaient trop désunis. Rosine (c’est le nom que votre époux vous rend), allons nous reposer des fatigues de la journée. Monsieur Fal, restez avec nous. Venez, mes deux enfants !… Suzanne, embrasse ton mari, et que nos sujet de querelles soient ensevelis pour toujours ! (À Figaro.) Les deux mille louis qu’il avait soustraits, je te les donne, en attendant la récompense qui t’est bien due !

Figaro, vivement.

À moi, monsieur ? Non, s’il vous plaît ! moi, gâter par un vil salaire le bon service que j’ai fait ! Ma récompense est de mourir chez vous. Jeune, si j’ai failli souvent, que ce jour acquitte ma vie ! Ô ma vieillesse, pardonne à ma jeunesse, elle s’honorera de toi. Un jour a changé notre état ! plus d’oppresseur, d’hypocrite insolent ! Chacun a bien fait son devoir ; ne plaignons point quelques moments de trouble ; on gagne assez dans les familles quand on en expulse un méchant.


FIN DE LA MÈRE COUPABLE.