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AUX ABONNÉS DE L’OPÉRA.

Malgré tous ces soins, j’aurai tort si j’établis mal dans l’action le précepte qui fait le fond de mon sujet.

Depuis que l'ouvrage est fini, j’ai trouvé dans un conte arabe quelques situations qui se rapprochent de Tarare ; elles m’ont rappelé qu’autrefois j’avais entendu lire ce conte à la campagne. Heureux, disais-je en le feuilletant de nouveau, d’avoir eu une si faible mémoire ! Ce qui m’est resté du conte a son prix : le reste était impraticable. Si le lecteur fait comme moi, s’il a la patience de lire le volume III des Génies, il verra ce qui m’appartient, ce que je dois au conte arabe, comment le souvenir confus d’un objet qui nous a frappés se fertilise dans l’esprit, peut fermenter dans la mémoire, sans qu’on en soit même averti.

Mais ce qui m’appartient moins encore est la belle musique de mon ami Salieri. Ce grand compositeur, l’honneur de l’école de Gluck, avant le style du grand maître, avait reçu de la nature un sens exquis, un esprit juste, le talent le plus dramatique, avec une fécondité presque unique. Il a eu la vertu de renoncer, pour me complaire, à une foule de beautés musicales dont son opéra scintillait, uniquement parce qu’elles allongeaient la scène, qu’elles alanguissaient l’action ; mais la couleur mâle, énergique, le ton rapide et fier de l’ouvrage, le dédommageront bien de tant de sacrifices.

Cet homme de génie si méconnu, si dédaigné pour son bel opéra des Horaces, a répondu d’avance, dans Tarare, à cette objection qu’on fera, que mon poëme est peu lyrique. Aussi n’est-ce pas là l’objet que nous cherchions, mais seulement à faire une musique dramatique. Mon ami, lui disais-je, amollir des pensées, efféminer des phrases, pour les rendre plus musicales, est la vraie source des abus qui nous ont gâté l’opéra. Osons élever la musique à la hauteur d’un poëme nerveux et très-fortement intrigué ; nous lui rendrons toute sa noblesse ; nous atteindrons, peut-être, à ces grands effets tant vantés des anciens spectacles des Grecs. Voilà les travaux ambitieux qui nous ont pris plus d’une année. Et je le dis sincèrement : je ne me serais soumis pour aucune considération à sortir de mon cabinet, pour faire avec un homme ordinaire un travail qui est devenu, par M. Salieri, le délassement de mes soirées, souvent un plaisir délectable.

Nos discussions, je crois, auraient formé une très-bonne poétique à l’usage de l’opéra, car M. Salieri est né poëte, et je suis un peu musicien. Jamais, peut-être, on ne réussira sans le concours de toutes ces choses.

Si la partie qu’on nomme récitante, si la scène, en un mot, n’est pas aussi simple à Tarare que mon système l’exigeait, la raison qu’il m’en donne est si juste, que je veux la transmettre ici.

Sans doute on ne peut trop simplifier la scène, a-t-il dit ; mais la voix humaine, en parlant, procède par des gradations de tons presque impossibles à saisir : par quart, sixième ou huitième de ton ; et dans le système harmonique, on n’écrit pour la voix que sur l’intervalle en rigueur des tons entiers et des demi-tons ; le reste dépend des acteurs : obtenez d’eux qu’ils vous secondent. Ma phrase musicale est posée dans la règle austère de l’art : mais vous me dites la i un

die, 1’- plus grand talent d’un acteur est de faire oublier les vers, Mi.ii COn il ml la ne" ni’ 1 ’. Eh bien ’ nOS I S chanteurs eront à comédiens, quand ils auront vaincu cette difficulté.

Simplifier le chant du récit sans contrarier l’harmonie, le rapprocher de la parole, est donc le vrai travail de nos répétitions ; et je me loue publiquement des efforts de tous no i h inteui A moins ’le pai lei tout à fait, le musicien n’a pu mieux faire ; et parler tout à fait d 1 1 nforci ne ni

compositeur habile a soin de jeter dans l’orchi t (eu-, le- intervalles possibles.

Orchestre de notre Opéra ! noble acteur dans le systi n de Gluck, de Salieri, dans le mien ! vous n’exprimeriez que du bruit, si vous étouffiez la parole ; et e esl du en tinrent que votre gloire est d’exprimer. ’ii- l’avez senti comme moi. Mais si j’ai obtenu de 1 mon compositeur que, par une variété constante, il part igeàl notre œuvre eu deux, que la musique reposât du I me, et le poëme de la musique ; l’orchestre et le chanteur, sous peine d’ennuyer, doivent signer entre eux la même capitula lion. Si l’âme du musicien est entrée dans l’âme du poète, l’a en quelque sorte épousée, toutes les parties exécutantes doivent s’entendre et s’attendre de même, -an- -e croiser, sans s’étouffer. De leur union sortira le plaisir : l’ennui vient de leur prétention. Le meilleur on le stn possible eût-il à rendre les plus grands effets, de- qu il couvre la voix, détruit tout le plaisir. Il en est alors du spectacle comme d’un beau visage éteint par des monceaux de diamants : c’est éblouir et non intéresser. D’où l’on voit que le projet qui nous a constamment occupés a été d’essayer de rendre au plus grand spectacle du monde les seules beautés qui lui manquent : une marche rapide, un intérêt vif et p ressaut, surtout l’honneur d’être entendu. Deux maximes fort courtes ont composé, dans nos répétitions, ma doctrine i ce théâtre. À nos acteurs pli n - île lionne volonté, je n’ai proposé qu’un précepte : Prononcez bien. Au premier orchestre du monde, j’ai dit seulement ces deux mots ; Apaisez-vous. Ceci bien compris, bien saisi, nous rendra dignes, ai-je ajouté, de toute l’attention publique. Mais, me dira quelqu’un, -i nous n’entendons rien, que voulez-vous donc qu’on écoute ? Messieurs, on entend tout au spectacle où l’on parle ; et l’on n’entendrait rien au spectacle où l’on chante ! Oubliez-vous qu’ici chanter n’est que parler plus fort, plus harmonieusement ’ Qui donc vous assourdit l’oreille ? est-ce l’empâtement des voix, ou le trop grand bruit de l’orchestre ? Prononcez biai, apaisez-vous, sent pour l’orchestre el les acteurs le premier remède à ce mal.

Mu- i n découvert un secret que je dois vous communiquer. J’ai trouvé la grande raison qui fait qu’on n’entend rien à l’Opéra. La dirai-je, messieurs.’ C’est qu’on n’écoute pas. Le peu d’intérêt, je le veux, a causé cette inattention. Mai-, dans plusieurs ouvrages dernes, tous remplis d’excellentes choses, j’ai très-bien remarqué que des moments heureux subjuguaient l’attention publique. Et moi, que j’en -m- digne ou non, je la demande tout entière pour le premier jour de Tarare ; et qu’un bruit infernal venge après le public, -i je m’en suis rendu indigne.

Me jugerez vous sans m’entendre ? Ah ! laissez ce triste avantage aux affiches du lendemain, qui souvent sent i e,e 1 1 veille.

Est-ce trop exiger de vous, pour un travail de trois années, que trois heures d’une franche attention ’ Ucoi dez-les-moi, je vous prie. Je prie surtout mes ennemis de prendre cet avantage sur moi : el c’esi pour eus -< ul que i en parle. S il • me laissent I ; indre es u e i la premii i e i mee, il - peuvent bien compter que j , n abu serai pour me relever dans le- autres. Leur intérêt est que je tombe, 1 1 non de me faire tomber. un du que les journaux ont l’injonction de ménager l’Opéra dans leur- feuilles ; i aurai- une bien triste opinion de leur crédit, s’ils n’obtenaient pas tous des dispenses contre Tarare.

En tout cas, reste la ressource intarissable des lettres a mues, des épigrammes, des libelles ; celle des invective nui téi . jetées par milliers dan- QO