Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/311

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TARARE.

Ni paix ni trêve !
L’horreur du glaive
Fera la loi.

TOUS.

C’est moi, c’est moi !

TARARE.

Qui veut la gloire
À la victoire
Vole avec moi !

TOUS.

C’est moi, c’est moi !

ATAR, À part.

Je ne puis soutenir la clameur importune
D’un peuple entier sourd à ma voix.

(Il veut descendre.)

ALTAMORT l’arrête.

Ce choix est une injure à tous tes chefs commune :
Il attaque nos premiers droits.
L’arrogant soldat de fortune
Doit-il aux grands dicter des lois ?

TARARE, fièrement.

Apprends, fils orgueilleux des prêtres,
Qu’élevé parmi les soldats,
Tarare avait, au lieu d’ancêtres,
Déjà vaincu dans cent combats ;

(Avec un grand dédain.)

Qu’Altamort enfant, dans la plaine,
Poursuivait les fleurs des chardons
Que les Zéphyrs, de leur haleine,
Font voler au sommet des monts.

ALTAMORT, la main au sabre.

Sans le respect d’Atar, vil objet de ma haine…

TARARE, bien dédaigneux.

Du destin de l’État tu prétends décider !
Fougueux adolescent, qui veux nous commander,
Pour titre, ici, n’as-tu que des injures ?
Quels ennemis t’a-t-on vu terrasser.’
Quels torrents osas-tu passer ?
Où sont tes exploits, tes blessures ?

ALTAMORT, en fureur.

Toi, qui de ce haut rang brûles de t’approcher,
Apprends que sur mon corps il te faudra marcher.

(Il tire son sabre.)

ARTHENÉE, troublé.

Ô désespoir ! ô frénésie !
Mon fils !…

ALTAMORT, plus furieux.

À ce brigand j’arracherai la vie.

TARARE, froidement.

Calme ta fureur, Altamort.
Ce sombre feu, quand il s’allume,
Détruit les forces, nous consume :
Le guerrier en colère est mort.

(Il tire son sabre.)

ARTHENÉE s’écrie.

Le temple de nos dieux est-il donc une arène ?

ATAR se lève.

Arrêtez !

TARARE.

J’obéis…

(À Altamort, lui prenant la main.)

Toi, ce soir, à la plaine.

(À Calpigi, à part, pendant qu’Atar descend de son tronc.)

Et toi, fidèle ami, sans fanal et sans bruit,
Au verger du sérail attends-moi cette nuit.

(Atar lui remet le bâton de commandement, au bruit d’une fanfare. Grande marche pour sortir.)

CHŒUR GÉNÉRAL, sur le chant de la marche.

Brama ! si la vertu t’est chère,
Si la voix du peuple est ta voix,
Par des succès soutiens le choix
Que le peuple entier vient de faire !
Que sur ses pas
Tous nos soldats
Marchent d’une audace plus fière !
Que l’ennemi, triste, abattu,
Par son aspect déjà vaincu,
Sous nos coups morde la poussière !

ACTE TROISIÈME

Le théâtre représente les jardins du sérail : l’appartement d’Irza est à droite ; à gauche, et sur le devant, est un grand sofa sous un dais superbe, au milieu d’un parterre illuminé. Il est nuit.

Scène I

CALPIGI entre d’un côté ; ATAR, URSON entrent de l’autre ; DES JARDINIERS ou BOSTANGIS qui allument.
CALPIGI, sans voir Atar.

Les jardins éclairés ! des bostangis ! Pourquoi ?
Quel autre ose au sérail donner des ordres ?…

ATAR, lui frappant sur l’épaule.

Moi.

CALPIGI, troublé.

Seigneur… puis-je savoir…

ATAR.

Ma fête à ce que j’aime ?

CALPIGI.

Est fixée à demain, seigneur ; c’est votre loi.

ATAR, brusquement.

Moi, je la veux à l’instant même.

CALPIGI.

Tous mes acteurs sont dispersés.

ATAR, plus brusquement.

Du bruit autour d’Irza ; qu’on danse, et c’est assez.

CALPIGI, à part, avec douleur.

Ô l’affreux contre-temps ! De cet ordre bizarre
Il n’est aucun moyen de prévenir Tarare !

ATAR, l’examinant.

Quel est donc ce murmure inquiet et profond ?

CALPIGI affecte un air gai.

Je dis… qu’on croira voir ces spectacles de France
Où tout va bien, pourvu qu’on danse.