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Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/356

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MÉMOIRES.

des soins que j’ai rendus à votre femme m’est dû, non par vous, mais par ses héritiers. »

Sur la mort de la seconde, interrogez les sieurs Tronchin et Lorry, médecins ; Péan, son accoucheur ; Goursault, son chirurgien et son ami ; Becqueret, un des plus honnêtes pharmaciens, qui, par zèle, ne la quittait ni jour ni nuit ; tous mes parents et la foule d’amis qui venaient habituellemenl dans ma maison, qui l’ont tous vue s’avancer lentement à la mort des poitrinaires, par une dégradation de santé de plus d’une année de souffrance également douloureuse à l’un et à l’autre.

Interrogez les honnêtes gens que sa mort a fait rentrer en possession de tout le bien qui est sorti de mes mains à cette époque.

Interrogez Mes Momet, le Pot-d’Auteuil, Rouen, notaires ; Chevalier, procureur ; gens de loi, gens d’affaires, et conciliateurs, qui tous m’ont vu procéder en ces occasions avec un désintéressement supérieur à la simple équité.

Et si tant de témoignages ne balancent pas en vous les plus absurdes calomnies, gens honnêtes, interrogez enfin mon intérêt, qui voulait que je conservasse avec soin mes femmes, si l’amour d’une plus grande aisance était le motif qui me les avait fait choisir. Eh ! comment celui-là serait-il un ingrat époux, ou plutôt un monstre, qui fait son bonheur constant d’être le nourricier de son respectable père, et s’honore d’être le bienfaiteur et l’appui de tous ses collatéraux !

Et vous qui m’avez connu, vous qui m’avez suivi sans cesse, ô mes amis, dites si vous avez jamais vu autre chose en moi qu’un homme constamment gai ; aimant avec une égale passion l’étude et le plaisir ; enclin à la raillerie, mais sans amertume ; et l’accueillant dans autrui contre soi quand elle est assaisonnée ; soutenant peut-être avec trop d’ardeur son opinion quand il la croit juste, mais honorant hautement et sans envie tous les gens qu’il reconnaît supérieurs ; confiant sur ses intérêts jusqu’à la négligence ; actif quand il est aiguillonné, paresseux et stagnant après l’orage, insouciant dans le bonheur, mais poussant la constance et la sérénité dans l’infortune jusqu’à l’étonnement de ses plus familiers amis.

Si j’ai jamais barré quelqu’un en son chemin de faveur, de fortune ou de considération, qu’il me le reproche. Si j’ai fait tort à quelqu’un, qu’il se présente et m’accuse hautement, je suis prêt à lui faire justice. Que si la haine qui me poursuit a quelquefois altéré mon caractère, que celui que j’ai pu offenser sans le vouloir dise de moi que je suis un homme malhonnête, j’y consens ; mais qu’il ne dise pas que je suis un malhonnête homme : car je jure que je le prendrai à partie si je puis le découvrir, et le forcerai, par la voie la plus courte, à prouver son dire, ou à se rétracter publiquement.

Comment donc arrive-t-il qu’avec une vie et des intentions toujours honorables, un citoyen se voie aussi violemment déchiré ? qu’un homme gai, sociable hors de chez lui, solide et bienfaisant dans ses foyers, se trouve en butte à mille traits envenimés ? C’est le problème de ma vie ; je voudrais en vain le résoudre. Je sais que les plus augustes protections m’ont jadis attiré les plus dangereux ennemis, qui me poursuivent encore, et cela est dans l’ordre ; que quelques essais dramatiques et plusieurs querelles d’éclat m’ont trop fait servir d’aliment à la curiosité publique, et c’est souvent un mal ; que mon profond mépris pour les noirceurs a pu acharner les méchants, qui ne veulent pas qu’on les croie ainsi sans conséquence (en effet ils ne le sont pas) ; qu’une vaine réputation de très-petits talents a peut-être offensé de très-petits rivaux, qui sont partis de là pour me contester les qualités solides. Peut-être, un juste ressentiment augmentant ma fierté naturelle, ai-je été dur et tranchant dans la dispute, quand je croyais n’être que nerveux et concis. En société, quand je pensais être libre et disert, peut-être avait-on droit de me croire avantageux. Tout ce qu’il vous plaira, messieurs : mais si j’étais un fat, s’ensuit-il que j’étais un ogre ? Et quand je me serais enrubané de la tête aux pieds ; quand je me serais affublé, bardé de tous les ridicules ensemble, faut-il pour cela me supposer la voracité d’un vampire ? Eh ! mes chers ennemis, vous entendez mal votre affaire ; passez-moi ce léger avis : si vous voulez me nuire absolument, faites au moins qu’on puisse vous croire.

Au reste, il est peut-être moins étonnant que des ennemis cachés poursuivent sourdement un honnête homme, que de voir un grave magistrat lui intenter un procès aussi bizarre que celui-ci, et l’appuyer sur des déclarations comme celles que je viens d’examiner, et sur une dénonciation comme celle dont je vais rendre compte.

Mais, direz-vous, je vois bien des déclarations suggérées, une conduite, en général, fort extraordinaire dans un magistrat : pour ses motifs, ils m’échappent absolument. — Donnez-moi la main, je vais vous y conduire, nous sommes sur la voie : car, en matière criminelle, c’est par les faits qu’on doit remonter aux intentions, et non en devinant les intentions qu’il est permis d’aggraver les faits. Ainsi, l’on raisonnerait fort mal, et l’on ferait la plus vicieuse pétition de principe, en disant, comme mon adversaire : Le sieur de Beaumarchais se croyait une mauvaise cause, il a donné de l’argent à la femme de son juge ; donc il a voulu le corrompre.

Nous tâcherons d’être plus conséquents. Il est bien prouvé, dirai-je, que voilà deux déclarations extorquées à le Jay par M. Goëzman, dont l’une est fausse, l’autre insidieuse, et toutes deux fabriquées en connaissance de cause : quel en est le principe ? le voici.