Aller au contenu

Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Marin, car on dit que ce le Jay est un bon homme qui ne prend rien ; je vous écrivis pour vous prier de suspendre vos bons offices : un ami se chargea de vous porter la lettre, et s’y prêta d’autant plus volontiers qu’il n’en ignorait pas le contenu. Il ne vous trouva pas ; il la remit à votre valet de chambre portier : on peut assigner mon ami sur ce fait, indépendamment des gens qui me virent écrire la lettre. Or, si vous n’étiez pas l’ami de M. Goëzman, pourquoi donc fîtes-vous une seconde démarche auprès de lui, postérieure à la réception de ma lettre, à moins que, voulant absolument faire une affaire de mon procès, vous ne vous soyez retourné, je ne sais comment, dans cette seconde visite ? car toutes les affaires ont deux faces, comme tous les agioteurs ont deux mains.

Si vous n’étiez pas l’ami de M. Goëzman, pourquoi, suivant votre propre mémoire, votre entrevue des Tuileries commença-t-elle avec une espèce d’aigreur de sa part, et finit-elle par le conseil que vous lui donnâtes de faire faire une déclaration par le Jay ? Pourquoi vint-il vous remercier le surlendemain chez vous, de ce que vous appelez vous-même le succès de votre conseil, et vous montra-t-il la déclaration de le Jay ?

Si vous n’étiez pas son ami, pourquoi me fîtes-vous sur-le-champ l’invitation la plus pressante de me rendre chez vous, par une lettre datée du 2 juin, que je déposerai au greffe ? et pourquoi, lorsque je vous vis sur cette invitation, voulûtes-vous m’engager à lui écrire (page 3 de votre mémoire) ? ce que je refusai avec dédain.

S’il n’était pas votre ami, pourquoi, vous rencontrant au Palais-Royal (car il vous rencontrait partout), après avoir dit (page 3) : Il évitait de me voir ; je l’abordai, il me fit un accueil très-froid, la séance finit-elle par mettre les deux indifférents dans le même carrosse, où le glacé M. Goëzman vous lut sa dénonciation au parlement, en vous accompagnant jusqu’à la porte de ma sœur ?

S’il n’était pas votre ami, pourquoi voulûtes-vous me tromper, chez ma sœur, devant six personnes, à l’instant où vous veniez de lire l’outrageuse dénonciation ? Pourquoi voulûtes-vous me faire croire qu’elle était en ma faveur, et non dirigée contre moi, pour nous tendre à tous un piége affreux, et nous empêcher de parler de ces misérables quinze louis, sans lesquels pourtant tout le poids de votre iniquité retombait sur ma tête ?

Si vous n’étiez pas son ami, pourquoi cherchâtes-vous avec lui le sieur Bertrand pour l’engager à faire une déposition courte et qui ne compromît personne, espérant user en cela de l’influence naturelle de MM. Turcarets sur leurs MM. Râffles ? Pourquoi, le lendemain, outré de n’avoir pu le trouver et l’empêcher de faire une déposition étendue, voulûtes-vous lui en faire faire une autre (car il n’y a rien de difficile pour vous) ? Pourquoi allâtes-vous dîner ce jour-là chez M. le premier président avec M. et madame Goëzman, et arrangeâtes-vous avec ce dernier, qui n’était pas votre ami, que Bertrand irait chez lui le soir même ? Pourquoi, l’instant d’après, ne quittâtes-vous pas ce Bertrand sans en avoir obtenu sa parole expresse de la visite que vous veniez d’arranger ? Pourquoi m’arrêtâtes-vous le jour même sur le Pont-Neuf, et me pressâtes-vous de nous réunir, pour envoyer Bertrand chez M. Goëzman ? Et vous ne pouvez plus contester tous ces faits, qui sont avoués dans vos mémoires, ou prouvés au procès par des témoins que vous essayez en vain de rendre suspects. Et comme il n’y a qu’un pas de la série des intrigues à celle des noirceurs : si vous n’étiez pas l’ami de ce magistrat, pourquoi donc avez-vous constamment échauffé la tête de ce pauvre Bertrand, et n’avez-vous pas eu de repos que vous ne l’ayez amené, par une dégradation d’honnêteté sensible à tout le monde, et dont vos entrevues étaient le thermomètre, à nier enfin que vous lui eussiez conseillé de changer sa déposition ?

Si vous n’étiez pas l’ami de M. Goëzman, pourquoi, sentant que les dépositions de deux étrangers étaient de la plus grande force contre vous, avez-vous dénigré bassement l’un des deux, le docteur Gardane, et voulu jeter du louche sur l’honnêteté de l’autre, le sieur Deschamps de Toulouse ? comme, si les faits dont ils ont déposé n’étaient pas connus d’autres personnes, et comme si ce Bertrand, dans un temps où il n’avait pas reçu l’ordre exprès de mentir, sous peine de ne plus tripoter vos fonds, n’avait pas été le lendemain dire à trois ou quatre personnes : Ils veulent me faire changer ma déposition, ils me tourmentent à ce sujet ; mais j’ai été ce matin au greffe protester que, loin de changer ou diminuer, je suis prêt à y ajouter de nouveau, si l’on veut m’entendre ! comme si ces gens étaient muets ou morts, et comme si le ministère public n’avait pas des moyens sûrs de les forcer de parler !

Si vous n’étiez pas l’ami de ce magistrat, pourquoi toutes assemblées secrètes, toutes ces entrevues chez des commissaires ? Pourquoi M. Goëzman distribue-t-il les mémoires de Marin, Bertrand, Baculard, pendant que Bertrand, Baculard et Marin colportent les siens ? Pourquoi ces lettres pitoyables de vous et de vos commis au sieur Bertrand ? Pourquoi des juifs qui vont et viennent de chez vous chez lui, de chez lui chez vous ? Pourquoi la réponse que vous avez exigée du sieur Bertrand, qui, toujours contraire à lui même, ne l’a pas eu plus tôt envoyée, et su que vous entendiez vous en servir, qu’il a été conter partout qu’il sortait de chez vous, et vous avait dit : Si vous êtes assez osé pour imprimer la lettre que j’ai eu la complaisance de donner, je vous brûlerai la cervelle, et à moi ensuite : ce qui sera constaté au procès par l’addition d’information ?