Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/389

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

neur, grièvement blessé, m’autorise donc à employer tous mes moyens pour repousser l’outrage par une défense légitime ; et je dois à mes juges de les éclairer sur le compte de mon dénonciateur. Il me combat avec des mots, je vais y opposer des faits ; et mes juges décideront de la valeur de nos défenses.

Antoine-Pierre Dubillon et Marie-Madeleine Janson, sa femme, ont imploré les bontés de M. l’archevêque de Paris par le mémoire ci-joint (signé d’eux, et les faits y contenus attestés au bas par madame Dufour, maîtresse sage-femme, qui a accouché ladite femme Dubillon), dans lequel ils le supplient de subvenir aux frais de cinq mois de nourriture qu’ils doivent à la nourrice de Marie-Sophie, leur fille, disant qu’ils n’ont recours à la charité de ce prélat que parce que M. Goëzman, parrain de leur fille, n’a eu aucun égard de leur situation, malgré la promesse formelle qu’il leur avait faite de pourvoir à l’entretien de cette enfant.

J’ai voulu savoir s’il était vrai que ce magistrat, qui refusait ses secours à ces infortunés, eût une raison aussi forte pour devoir leur être utile : j’ai été à la paroisse de Saint-Jacques de la Boucherie, j’y ai levé l’extrait baptistaire ci-joint. On sera sans doute aussi étonné que je l’ai été moi-même d’y voir : Louis Dugravier, bourgeois de Paris, y demeurant rue des Lions, paroisse Saint-Paul, parrain de Marie-Sophie. Serait-il possible que M. Goëzman, qui se pare de tant de vertu, se fût joué du temple de Dieu, de la religion, et de l’acte le plus sérieux, sur lequel est appuyé l’état du citoyen, en signant Louis Dugravier, au lieu de Louis Goëzman, et y ajoutant un faux domicile à un faux nom ?

Je joins ici les pièces[1] justificatives, et je n’étends point mes réflexions, pour qu’on ne taxe pas de haine et de vengeance une dénonciation qui est pour moi un point essentiel de défense. J’ai été moi-même injustement dénoncé, accablé d’injures les plus grossières, et de reproches aussi mal fondés qu’étrangers au fait pour lequel on m’a dénoncé. J’use de tous mes moyens pour me défendre. Je découvre un fait qu’il importe à mes juges et au public de savoir ; je le dénonce à M. le procureur général, pour me servir en tant que de besoin dans le procès intenté contre moi par-devant les chambres assemblées : il en fera l’usage que sa prudence et son exactitude connues lui dicteront.

À Paris, ce 13 décembre 1773.
Caron de Beaumarchais.

« Je supplie mes juges de me pardonner si j’ai été obligé de leur envoyer à tous ma requête d’atténuation, sans qu’elle fût signée d’un avocat titulaire. À l’heure que je distribue ces mémoires, je n’ai pas encore de signature, malgré mes prières, mes efforts, et les ordres signés et réitérés de M. le premier président. J’aime mieux commettre une légère irrégularité, que de courir le risque d’être jugé sans que tous mes juges aient lu ma requête d’atténuation. »


REQUÊTE D’ATTÉNUATION

POUR

LE SIEUR CARON DE BEAUMARCHAIS

À NOSSEIGNEURS

DU PARLEMENT

LES CHAMBRES ASSEMBLÉES

Supplie humblement Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, écuyer, conseiller secrétaire du roi, et lieutenant général des chasses au bailliage et capitainerie de la varenne du Louvre, grande vénerie et fauconnerie de France ;

Disant que M. Goëzman l’a dénoncé à la cour, comme ayant tenté de gagner son suffrage par des présents faits à sa femme, et l’ayant ensuite diffamé par des propos offensants et calomnieux.

Ces délits ont paru graves ; la cour a ordonné qu’il en serait informé à la requête de M. le procureur général : l’information a été faite ; elle a été suivie de tout l’appareil de la procédure extraordinaire ; le suppliant n’en a jamais redouté la rigueur, bien persuadé qu’elle fournirait des preuves de son innocence.

Dans ses mémoires, le suppliant a rendu un compte exact des faits ; il ne fera que retracer ici les plus essentiels.

fait

Le 1er avril 1773, M. Goëzman fut nommé rapporteur du procès entre le suppliant et le comte de la Blache. Le suppliant n’en fut pas plus tôt informé, qu’il désira de voir ce magistrat, et de l’entretenir de son affaire.

Dans cette vue, il se présenta jusqu’à trois fois en son hôtel ce même jour 1er avril ; et, n’ayant pu parvenir jusqu’à lui, il laissa chaque fois à sa porte un billet conçu en ces termes : Beaumarchais supplie monsieur de vouloir bien lui accorder la faveur d’une audience, et de laisser ses ordres à son portier pour le jour et l’heure.

Le lendemain 2 avril, le suppliant se rendit encore trois fois chez M. Goëzman, et chaque fois la portière lui disait qu’il était sorti ; cependant, dans

  1. L’extrait baptistaire de Marie-Sophie, et le placet de Pierre Dubillon et sa femme, père et mère de Marie-Sophie, attesté par la dame Dufour, maîtresse sage-femme, dont le double a été présenté à M. l’archevêque.