Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/411

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pas étonnée si je divise la question, et ne la fais rentrer dans l’espèce de celles auxquelles je dois répondre comme accusé, qu’après y avoir répondu comme moraliste.

Si j’avais eu, monsieur, l’intention de corrompre M. Goëzman en faisant un sacrifice d’argent, il est certain que, son suffrage acheté m’ayant rendu l’arrêt favorable, je n’aurais pas pu délicatement profiter du bénéfice d’un arrêt qui n’eût été, dans ce cas-là, que le fruit de ma propre séduction.

Mais voici pourquoi la question me paraît hors de la cause : c'est qu’un homme assez délicat pour refuser le bénéfice d’un arrêt obtenu par des voies malhonnêtes n’aurait pu l’être en même temps assez peu pour tenter de corrompre un rapporteur ; et que celui qui aurait acheté le samedi le suffrage du rapporteur ne serait pas devenu subitement assez scrupuleux pour restituer le lundi le produit de cet arrêt. Mais si vous me demandez : « Monsieur, lorsque vous avez payé des audiences de votre rapporteur, si vous aviez su que le mari fût du secret, auriez-vous cru le gain du procès légitime ? » en qualité d’accusé, je réponds à cette question toute simple, et qui a un rapport direct au procès, que, n’ayant en effet jamais entendu payer que des audiences, quand j’aurais été convaincu que M. Goëzman était d’accord avec sa femme, et quand ces audiences m’auraient coûté trois, quatre, cinq cents louis, j’aurais sans scrupule profité du bénéfice d’un arrêt qui ne m’eût adjugé que le prix du plus légitime arrêté de compte, et ne m’eût fait gagner qu’un procès imperdable. J’aurais seulement trouvé les audiences du rapporteur un peu chères.

— « Mais puisque vous croyiez votre cause si simple qu’elle était absolument imperdable, quel besoin pensiez-vous donc tant avoir d’instruire votre rapporteur ? »

— Le voici, monsieur : si j’avais pu me flatter que l’on s’occupât uniquement au palais du fond de la question, qui, dégagée de tous les accessoires dont mon adversaire la chargeait, n’eût jamais mérité d’en former une, je n’aurais pas fait au parlement et à mon rapporteur l’injure de croire qu’on s’arrêtât une minute aux misérables défenses de mon adversaire ; mais j’avais trop éprouvé qu’en feignant de plaider au civil la discussion d’un arrêté de compte, son avocat ne plaidait en effet que des moyens d’inscription de faux : de sorte que, par cette ruse odieuse, mon ennemi gagnait de me rendre odieux, sans courir le risque des terribles condamnations à quoi s’exposent ceux qui usent de l’inscription de faux contre un acte légitime. Aussi n’était-ce pas le fond du procès que je voulais instruire chez le rapporteur ; c’étaient les horribles impressions du comte de la Blache et de Me Caillard que je voulais détruire. Car que faisait à ma cause qu’il parût étonnant à M. Goëzman, comme il me le dit, que M. Duverney m’eût prêté vres en ses billets au porteur, puisque dans l’acte qui les atteste je n’en demand payement, et qu’ils ont été rendus et reçus en nature " ? Ce n’était donc que pour en tirer des inductions défavorables contre moi qu’on faisait ces objections. Et pourquoi ? répondis-je à M. (, " Vous serez bien plus surpris, monsieur, si je vous prouve légalement que M. Duverney m’a prêté en un seul jour 560,000 livres : de pareils services supposent un attachement sans bornes, ou de grands intérêts à ménager ; et l’homme qui en oblige un autre avec de tels moyens croit sans doute avoir d’excellentes raisons pour le faire. » Je n’avais pas besoin non plus de prouver au procès ce prêt de 560,000 livres, puisqu’il n’en est pas question dans notre acte, et qu’ils ont été rendus longtemps avant qu’il fût rédigé.

De quoi donc s’agissait-il pour moi chez le rapporteur ? De prouver qu’il y avait eu des liaisons d’ind’amitié, aussi longues qu’intim

M- Duvi rnej i t moi, et que l’arrêté de compte le plus exact avait le fondement le plus légitime : il me fallait plaider l’historique de ces liais mon ennemi s’efforçait de faire passer pour des chimères ; il m’importait de les établir par des instructions cpie mon respect pour la mémoire du plus honorable citoyen ne m’avait pas permis de mettre dans la bouche de mon avocat ; non qu’elles ne fussent à la gloire de mon ami. mais parce qu’elles tenaient à des considérations majeures, el qui exigeaient de ma part la plus grande circonspection : de sorte que, sans inquiétude sur la vraie question à juger (la validité d’un a . je ne l’étais pas sur l’opinion que mon adversaire avait donnée de moi, qui présentais cet acte : et voilà pourquoi, monsieur, il m’était aussi important d’instruire mon rapporteur qu’inutile de le corrompre ; voilà pourquoi j’ai payé des audiences qu’on me refusait, et n’ai pas acheté un suffrage qui m’était dû à toute sorte de titres : tel a été le principe de ma conduite en cette affaire. Il semblait alors que la cour n’eût plus rien à me demander, lorsqu’un autre de Messieurs des enquêtes me dit du ton le plus grave, et même un peu austère :

— » Monsieur de Beaumarchais, êtes-vous l’auteur d’un écrit intitulé Supplément nu J, « consulter, etc. ’ ? »

— Je pense, monsieur, que mon aveu ne fait rien du tout pour ou contre le parti que la cour entend prendre relativement à ces mémoires.

— i’ Répondez-moi, monsieur de Beaumarchais, d’une façon nette et sans biaiser. »

— Messieurs, la cour sait bien la peine que j’ai journellement à faire signer la plus simple requête : forcé d’abord de présenter à M. le premier président une requête extrajudiciaire pour obtenir un ordre exprès à un avocat titulaire de m’en signer une juridique, tous me refusant leur ministère