Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/424

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au plus offensé, mais au plus généreux des hommes : avant de me diffamer, accordez-moi le moment de tenter un effort pour ramener encore une fois dona Maria ; c’est dans cet unique espoir que j’ai écrit la réparation que vous emportez : mais avant de me présenter, j’ai résolu de charger quelqu’un de plaider ma cause auprès d’elle ; et ce quelqu’un, c’est vous. — Je n’en ferai rien. — Au moins vous lui direz le repentir amer que vous avez aperçu en moi. Je borne à cela toutes mes sollicitations. À votre refus, je chargerai quelque autre de me mettre à ses pieds. » Je le lui promis.

Le retour de mon ami chez ma sœur avait porté l’alarme dans tous les esprits. En arrivant, je trouvai les femmes éplorées et les hommes très-inquiets ; mais, au compte que je rendis de ma séance, à la vue de la déclaration, les cris de joie, les embrassements succédèrent aux larmes ; chacun ouvrait un avis différent : les uns opinaient à perdre Clavijo, les autres penchaient à lui pardonner ; d’autres s’en rapportaient à ma prudence, et tout le monde parlait à la fois. Mais ma sœur de s’écrier : Non, jamais, jamais je n’en entendrai parler. Courez, mon frère, à Aranjuez : allez voir M. l’ambassadeur, et dans tout ceci gouvernez-vous par ses conseils.

Avant de partir pour la cour, j’écrivis à Clavijo que ma sœur n’avait pas voulu entendre un seul mot en sa faveur, et que je m’en tenais au projet de la venger et de le perdre. Il me fit prier de le voir avant mon départ, et je me rendis librement chez lui. Après mille imprécations contre lui-même, toutes ses prières se bornèrent à obtenir de moi qu’il allât pendant mon absence, avec un ami commun, parler à ma sœur aînée, et que je ne rendisse son déshonneur public qu’à mon retour, s’il n’avait pas obtenu son pardon. Je partis pour Aranjuez.

M. le marquis d’Ossun, notre ambassadeur, aussi respectable qu’obligeant, après m’avoir marqué tout l’intérêt qu’il prenait à moi, en faveur des augustes recommandations qui lui étaient parvenues de France, me dit : « La première preuve de mon amitié, monsieur, est de vous prévenir que votre voyage en Espagne est de la dernière inutilité quant à l’objet de venger votre sœur ; l’homme qui l’a insultée deux fois par sa retraite inopinée n’eût jamais osé se rendre aussi coupable, s’il ne se fût pas cru puissamment soutenu. Quel est votre dessein ? espérez-vous lui faire épouser votre sœur ? Non, monsieur, je ne le veux pas : mais je prétends le déshonorer. ■ El comment ? » Je lui fis le récit de mon entrevue avec Clavijo, qu’il ae crul qu’en lisanl son éeril que je lui présentai. Eh bien ! monsieur, me dit cet homme respectable, un peu étonné de mon action, je change

! instant. Celui qui a tellement avancé les 

en deux heures esl fail pour les terminer heureusement. L’ambition avait éloigné Clavijo de mademoiselle votre sœur ; l’ambition, la terreur ou l’amour le lui ramènent. Mais, à quelque titre qu’il revienne, le moins d’éclat qu’on puisse faire en pareille occasion est toujours le mieux. Je ne vous cache pas que cet homme est l’ait pour aller loin, et, sous ce point de vue, c’esf peut-être un parti très-avantageux. A votre place, je vaincrais ma sœur sur ses répugnances, et, profitant du repentir de Clavijo, je les marierais promptement,

— Comment ! monsieur, un lâche ? — Il n’est un lâche qur s’il ne revient pas de bonne foi. Mais, cepoinl accordé, ce n’esl qu’un amant repentant.

reste, voilà mon avis : je vous invite à le suivre’, et même je vous en saurai gré, par des considérations que je ne puis vous expliquer. Je revins à Madrid un peu trouble des conseils de M. le marquis d’Ossun. A mon arrivée j’appris que Clavijo étail venu, accompagne de quelques amis communs, se jeter aux pieds de nies sœurs ; que la plus jeune, à son arrivée, s’était enfuie dans sa chambre el n’avait plus voulu reparaître, et l’on me dit qu’il avait conçu beaucoup d’espérance de cette colère fugitive. J’en conclus à mon tour qu’il connaissait bien les femmes, douces el si nsibles créatures, qu’un peu d’audace, mêlée de repentir, trouble à coup sur étrangement, niais dont le cœur ému n’en reste pas moins disposé en laveur de l’humble audacieux qui gémit à leurs pied-.

Depuis nmn retour d’Aranjuez, ce Clavijo dc-ira me voir tous les jours, me rechercha, m’enchanta par son esprit, ses connaissances, el surtout par la noble confiance qu’il paraissait avoir en ma médiation. Je le servais de bonne foi : nos amis se joignaient à moi : niais le profond respect que ma pauvre sœur paraissait avoir pour mes décisions me rendait très-circonspect à son égard : c était son bonheur et non sa fortune que ji désirais c’était sou cœur et non sa main qui lais forcer.

Le 2a mai, Clavijo se retira brusquement du logis de M. Portuguès, et tut se réfugier au quartier des Invalides, chez un officier de sa connaissance. Cette retraite précipitée ne m’inspira d’abord aucun ombrage, quoiqu’elle me parût singulière. Je courus au quartier ; il allégua pour motif de cette retraite que M. Portuguès étant un des plus opposés à son mariage, il comptait me donner la plus haute preuve de la sincérité de son retour, en quittant la maison d’un si puissant ei mi de ma sœur. Cela me parut si probable el si délicat, que je lui sus un gré infini de sa retraite aux Invalides.

Le 26 mai, j’en reçus la lettre suivante : COPIE DE LA LETTRE DE CLAVIJO, DONT j’.U L’ORIGINAL. (i Je me suis expliqué, monsieur, d’une manière ci très-précise, sur la ferme intention où je suis de