Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/435

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la plus lâche accusation dirigée contre moi m’a livré à toutes les horreurs d’un procès criminel, réglé à l’extraordinaire, et suivi d’un jugement portant condamnation au blâme, et me rayant à jamais de la société des hommes.

J’allais me pourvoir contre cet énorme abus des lois, lorsque le service et des ordres particuliers de Sa Majesté, me portant hors du royaume, m’ont fait user, en voyageant, le temps accordé par la loi pour attaquer tout jugement dont un infortuné se croit blessé.

De retour en France, j’ai travaillé deux ans et fait l’impossible pour porter mon affaire en cette cour. Mais, le choix des moyens n’étant pas en mon pouvoir, il m’a fallu céder à la fatalité qui me prescrivait uniquement la voie de révision pour me relever de ce jugement inouï.

Je me tairai sur un jugement plus étonnant encore, et qui, fondant sur moi comme un ouragan, m’a montré qu’en moins de trois jours on pouvait lever au greffe, instruire et rejeter une requête en révision où il allait de l’honneur du suppliant, sans que l’iniquité reconnue du fond, et la foule de nullités dont la procédure est grevée, frappât les juges et retint l’anathème.

Tout semblait dit pour moi ; mais malheur à l’homme dont le courage est abattu par le redoublement d’un outrage ! Celui-là seul mérite qu’on en dise, après l’avoir écrasé : Dieu merci, voilà une affaire finie, et un homme dont nous n’entendrons plus parler !

Ce ne fut pas moi. La douleur animant mes forces, et ma fierté ne pouvant soutenir l’idée de lettres d’abolition, qui supposent toujours un coupable ; après les avoir refusées du feu roi, je crus qu’il fallait plutôt mourir à la peine d’un nouveau jugement, que d’en accepter des bontés de notre jeune monarque. C’est le seul cas peut-être où les grâces du prince auront éprouvé le refus d’un homme d’honneur, sans qu’il puisse être taxé de manquer à la reconnaissance ni au profond respect.

Je suppliai donc de nouveau Sa Majesté de m’accorder, pour toute faveur, celle d’être envoyé devant mes juges naturels, le parlement de Paris. Alors, la bonté du roi sollicitant sa justice, des lettres patentes, émanées du souverain lui-même, ont anéanti tout le temps que j’avais perdu à demander vainement justice ailleurs et à combattre un nouveau désastre.

Adressées à la cour et par elle enregistrées, ces lettres ont porté devant le parlement ma requête civile et la consultation des avocats qui l’appuyait. Enfin, le 6 septembre, la cour, grand’chambre et tournelles assemblées, ayant bien voulu, dans une audience extraordinaire, accorder son attention à l’éloquent plaidoyer de M e Target pour son ami a rendu, sur les conclusions de M. l’avocat général Séguier, l’équitable arrêt qui entérine ma requête civile, annule le jugemenl du.’■ 1771, et me remet au même et semblable étal où j’étais avant ce jugement. La joiedece nouvel arrêt a —i bien éteinl en moi le chagrin des précédents et les a tellement confondus dans mon esprit, que je n’ai plus le pouvoir ni la volonté de li guer pour m’en plaindre.

s malheureux, qui vous lassez trop tôt ir, voyez à quoi tenait l’existence d’un i honneur ! A la demande réitérée d’un tribunal équitable, et au courage de dévorer tous les dégoûts qui m’y ont à la fin conduit. Mais, à l’époque de cet arrêt, je devais prononcer devant la cour un exorde historique au plaidoyer de Target ; la crainte d’abuser des moments précieux qu’elle dérobait à d’autres citoyi moi dan— es séances me fit faire le sacrifice entier de l’expression de ma gratitude. Je garderais le même silence aujourd’hui, si mes ennemine publiaient pas que mon discours, plein d’un triomphe insolent, d’une gaieté indécente, a été supprimé comme peu respectueux pour la cour même à qui je l’adressais.

Il est tellement important pour moi que cette fausse opinion n’obtienne aucun crédit sur les magistrats, que je prendrai la liberté de soumettre ici ce discours à leur jugement, sans y changer un seul mot. Ne peut-il pas contribuer à m’oblenir la in d’un décret et le renvoi dans mes fonctions, puisqu’il fut destiné à faire annuler le juqui m’en avait privé pour toujours ? Le voici tel qu’il dut être prononcé devant le parlement :

DISCOURS

POUR ÊTRE PRONONCÉ DEVANT L’ASSEMBLÉE DES DEUX CHAMBRLS DC PARLEMENT.

uns,

J’ai trop de confiance en mon défenseur, pour perdre, en plaidant moi-même, l’avantage de lui voir établir solidement mes moyens de requête civile. Mais j’oserai lui disputer l’expression de la joie que je sens de pouvoir me présenter enfin à ce tribunal auguste, après cinq ans de travaux et de souffrances. L’injuste procès d’où naquit le monstrueux qui m’amène aux pieds de la cour date de l’événement qui priva si douloureusement la France de ses vrais magistrats. Il s’agissait, messieurs, d’un acte civil passé libremenl entre deux majeurs raisonnables et liés depuis dix ans d’intérêt et d’amitié. Le fond ni la forme de cet acte n’offrait aucune prise aux plus légères discussions ; et cependant la haine du comte de la Blache a trouvé moyen de les éterniser. Tout son artifice, messieurs, fut de me réduire .i l’obligation de prouver cent fois ce qui était déjà trop clair. La persuasion s’en altère à la fin ; il semble qu’un fait exposé tant de fois à la discussion en ait réellement besoin. Et quand la redite