cies, n’ait pas encore vengé mon honneur, repoussé l’injure, et justifié l’acte du 1er avril 1770 ; mais le lecteur, trop judicieux pour m’avoir blâmé sans m’entendre, est aussi trop éclairé pour me blâmer lorsqu’il m’aura entendu.
Le comte de la Blache, encore plus étonné de mon silence que le lecteur, n’a pu s’en taire, et, dans un quatrième mémoire en réponse au précis pour moi, fait et publié sans moi, par un avocat aux conseils, où l’affaire est traitée beaucoup trop légèrement, suivant l’expression même de mon adversaire, le comte de la Blache s’exprime ainsi : Le sieur de Beaumarchais évite habilement les détails de la discussion du prétendu compte définitif… Il abandonne le soin de sa réputation, au point qu’il suppose que son compte est rempli d’erreurs, d’omissions, de faux et doubles emplois… Il promet néanmoins de justifier publiquement jusqu’à la dernière syllabe de l’acte ; mais quand s’acquittera-t-il de cette promesse ? Ce sera, dit-il… après la cassation de l’arrêt. Quelle modestie !
Ainsi le comte Falcoz de la Blache et son avocat, trop bien instruits l’un et l’autre des obstacles qui retardaient la publication de mon mémoire, triomphent de mon silence dans le leur. Si la ruse est permise en procès comme en guerre, ils ont toujours raison tant qu’ils m’empêchent de parler ; mais, grâce à la justice de monseigneur le garde des sceaux, c’est enfin ce que j’ai la liberté de faire.
Je vous prie, lecteur, de ne pas oublier ce que vous venez de lire du comte de la Blache. Je vous prie encore de vous rappeler les reproches publics qu’il m’a faits et fait faire, l’an passé, sur les lettres de Mesdames, qu’il m’accusait faussement d’avoir fabriquées dans le temps que nous plaidions aux requêtes de l’Hôtel.
Rappelez-vous aussi comment je me suis justifié de cette calomnie dans l’un de mes misérables mémoires contre Goëzman, que je suis bien désolé d’avoir composés, puisqu’ils ont eu le malheur de déplaire à la justice d’alors, et parce qu’il semble que je ne leur aie donné le jour que pour avoir la douleur de les voir brûler vifs dans la cour du Palais, qui, comme on sait, est la Grève des livres.
J’ai l’assurance aujourd’hui de rappeler le trait du comte de la Blache, éclairci dans ces mémoires, parce que j’estime que ce n’est point ce trait qui leur a mérité, de la part d’un tribunal intègre, le double châtiment d’être incendiés et lacérés au préalable.
Dans ces mémoires ignescents je prouvais donc comment le comte Falcoz, mêlant toujours la noire intrigue à la plaidoirie insidieuse, allait se plaindre à Versailles que, pour gagner un procès déshonorant, je faisais à Paris le plus coupable abus d’une prétendue protection des princesses, dont je n’avais pas dit un mot, et revenait ensuite apprendre aux magistrats que Mesdames. m’ayant jugé indigne de toute protection, m’avaient chassé de leur présence ; et que si je présentais de leur part un certificat d’honnêteté, ce n’était qu’une lettre supposée par un homme à qui rien n’était sacré. Ce fut son expression.
La conduite du comte de la Blache, au sujet de mes défenses actuelles, a un rapport si intime avec celle qu’il tint alors, qu’on ne peut s’empêcher de la rappeler, de les rapprocher, d’y reconnaître toujours le même homme et de l’admirer sans cesse.
Sachez donc, lecteur, ce que le comte de la Blache ne sait que trop depuis longtemps : c’est que, loin de laisser son grand mémoire sans réponse, et d’abandonner le soin de ma réputation, je n’ai pas eu de repos que cette réponse ne fût achevée.
Apprenez aussi que, lorsqu’elle a été finie, je n’ai pu découvrir par quelle fatalité mon avocat ni aucun autre avocat du conseil n’a voulu signer mes défenses ; que, bercé pendant quinze jours d’espérances trompeuses, dans mon désespoir je me suis adressé aux avocats au parlement ; qu’alors il a fallu refondre le mémoire et faire remanier quatre-vingts formes d’imprimerie pour le leur présenter sous l’aspect d’une consultation à donner ; que, cet ouvrage achevé, Me Bidault, mon avocat et mon ami, qui m’avait toujours prêté la main généreusement et venait de me promettre encore ses secours, est tombé subitement dans un état si voisin de la mort, qu’il n’a pu même être instruit par mes regrets, du chagrin et du retard affreux que sa maladie me causait.
Sachez encore, lecteur, qu’un avocat aux conseils, instruit le soir même par moi de ce nouvel accident, et paraissant touché de mon état i lecture de mes défenses, m’a donné sa parole d’honneur de aussitôt que je les aurais refondues, que j’au consultation et remis le mémoire dans sa forme ; qu’alors vingt imprimeurs et l’auteur ont encore passé la nuit et la journée du 1er, remanier, moi la composition, eux les quati nais que lorsque je suis revenu
avec le mémoire rétabli, l’avocat au conseil de sa parole et n’a pas voulu signer, sans qu’il m’ait été possible alors de découvrir qui l’en avait détourné. Pendant ce temps, le comte de la Blache et M" Mariette, instruits de tout ce qui se passait, composaient le mémoire auquel cet avertissement n où ils me reprochent avec une moquerie si insultante i et de n’oser me
justifier sur le fond de l’affaire ! Loin de me décourager, je me suis
Me Ader, avocat au parlement, qui avait signé avec Me Bidault mes anciens mémoires, ces tristes n si malheureusement incendiés. Avec la meilleure tête et la plus grande honnêteté, Me Ader a jus défense d’un homme attaqué si violemment était de droit naturel, et qu’au refus des avocats aux i pouvait, après avoir lu mon mémoire, arrêter dans une consultation modérée le parti que je devais suivre. Alors il a fallu de nouveau refondre le mémoire, y mettre une consultation, et remanier les quatre-vingts formes d’imprimerie. Autre nuit passée, autres travaux le temps s’usait, le terme du jugement approchait: je me croyais au bout de mes forces et de mes peines, lorsqu’il m’a fallu ranimer les unes pour parvenir à supporter les autres.
Cependant, le bruit de cette consultation ayant alarmé le comte de la Blache, il a suspendu la publication de ses reproches moqueurs ; il a couru, écrit, sollicité ; il a fait solliciter, écrire et courir ses amis pour armer l’autorité centre un libelle de moi, qui, disaient-ils, allait déshonorer le comte de la Blache. Notez qu’aucun d’eux n’en connaissait une phrase, et qu’ils n’en criaient pas moins tolle sur ma défense et sur ma personne.
Enfin, ils ont tellement intrigué, que, sans que j’aie encore pu savoir d’où le coup était parti, un syndic de librairie, à l’instant qu’on s’y attendait le moins, est venu arrêter l’impression de mon mémoire. Il avait ordre, a-t-il dit à l’imprimeur, d’enlever, même de force, une épreuve de ce mémoire; ordre, en cas de refus, de violer les presses : ce qui ne se fait jamais que dans les cas de crime de lèse-majesté. Pour comble de singularité, son ordre portait, a-t-il dit, de ne point montrer l’ordre en vertu duquel il agissait.
Je n’étais pas chez l’imprimeur : l’épreuve a été enle-