placé, puisque je ne l’avais pas pris dans le mien. Aussi le bon, l’honnête, le judicieux, le respectable M. Duverney prend-il, en me répondant, le ton sérieux de l’intérêt le plus vif.
« Votre santé m’inquiète, monsieur ; faites-m’en donner des nouvelles tous les jours, jusqu’à ce que je puisse vous voir, ce que je désire ardemment. »
On ne peut pas s’empêcher d’être un peu frappé de ces mots dans un billet sérieux, ce que je désire ardemment, à l’instant où je suis malade, en me priant de lui faire donner de mes nouvelles tous les jours, quand on a lu dans la consultation du comte de la Blache (page 55) « que jamais le sieur de Beaumarchais n’en a reçu un seul mot d’honnêteté par écrit. »
— Mais peut-être aussi ce billet n’est-il pas pour vous ? — Pardonnez-moi, messieurs, il est pour moi, répondu de sa main, sur le même papier ; et quoique le mien fût plié, cacheté par moi, en simple billet, même sans adresse, il me l’a renvoyé sous enveloppe, avec cette adresse de sa main : À monsieur de Beaumarchais, à Paris ; cacheté de ses armes.
— Tout cela paraît sans réplique, monsieur ; cependant il nous reste encore un scrupule. Toutes les réponses de M. Duverney, écrites au haut d’une page ou d’une feuille, nous paraissent offrir une si grande facilité à l’abus qu’on pouvait en avoir fait, qu’avec les insinuations du comte de la Blache nous avons été, ma foi, plus qu’à demi persuadés que vos billets étaient appliqués après coup sur ces prétendues réponses…
— Avec votre permission, messieurs, il n’est pas vrai que toutes les réponses de M. Duverney soient écrites au haut des pages ou des feuilles ; elles sont d’un sens, de l’autre, à côté, dessus, derrière, sur le même ou sur le second feuillet, etc…
— Oui, mais il n’y en a pas une seule écrite d’une façon irrésistible, et qui porte la conviction dans l’âme que ce qui semble vous répondre est invinciblement la réponse à votre lettre. Quoi ! pas un seul billet de M. Duverney qui soit placé, par exemple, immédiatement au-dessous de votre écriture à vous, de façon qu’il soit impossible à l’homme le plus difficile, en le voyant, d’imaginer que M. Duverney eût choisi, pour vous adresser quelques mots, le milieu ou les deux tiers de la page, et vous eût laissé au-dessus de son billet une grande place blanche pour y appliquer le vôtre après coup ? Comme une telle façon d’écrire un premier billet serait absolument improbable, en le voyant servir de réponse au vôtre écrit dessus, il n’y aurait plus de moyen de douter que le vôtre n’eût été écrit le premier, et que celui de M. Duverney ne fût la vraie réponse, à laquelle nous n’hésiterions plus de nous rendre ; et c’est alors seulement que nos doutes sur un commerce libre entre vous deux, toujours répondu sur le même papier, seraient levés : alors la puissante analogie que vous invoquez serait dans toute sa force, et nous laisserait sans réplique.
— En vérité, messieurs, ne doutez pas que dans plus de six cents lettres ou billets brûlés par moi, il ne s’en trouvât quelques-uns écrits et répondus comme vous le désirez. Mais dans ceux qui me restent, et qu’on m’a forcé très-inutilement de produire au soutien d’un acte qui n’avait nul besoin de soutien, s’il ne s’en trouve pas d’écrits ainsi, c’est par la raison ou que mes billets remplissaient toute la première page, ou que, devant replier la lettre qu’il me renvoyait, afin que son cachet ne tombât pas sur la place déchirée par le mien, M. Duverney a presque toujours retourné le feuillet ou le papier pour me répondre. Que sais-je ? et comment pourrais-je expliquer la bizarrerie de pareilles fortuités ?
— C’est pourtant cela seul qui pourrait nous convaincre.
— Eh ! monsieur l’avocat-virgule, à quel misérable pointillage attachez-vous votre prétendue conviction ? Quand on se rend si minutieux sur les preuves, on n’a guère envie d’être convaincu !
Cependant voyons… Comme je veux essayer de vous complaire en tout, je vais joindre aux pièces du procès encore un billet à sa réponse, à la vérité très-inutile à l’acte du 1er avril, mais au moins propre à vous satisfaire. Je l’ai par hasard dans les mains, et il remplit si bien toutes les conditions par vous exigées, que j’espère après cela que vous me laisserez tranquille. Il est sans date, et se rapporte à des envois d’argent qui regardaient personnellement M. Duverney. Je lui écrivais :
« Vous avez oublié, ma chère amie, de donner vos ordres au petit bonhomme, et tout est resté là. Je ne puis pourtant pas tarder davantage. Si vous voulez dire à mon commissionnaire ce qu’il doit faire, je vous saurai un gré infini de cette complaisance, et je vous en remercierai demain au soir. En vérité, je ne puis reculer mon envoi. Samedi matin. »
— Toujours ma chère amie ? Ma chère amie à M. Duverney ! On ne s’accoutume pas à cela.
— Hé ! certainement, mon cher ! Comment cela vous émeut-il encore ? Le but de ma complaisance, en vous montrant ce billet, n’est pas de réveiller la question du style, et de rebâcher dix fois pour en justifier le figuré, mais de vous faire échec et mat sur les pointilleuses preuves exigées par vous d’un commerce écrit et répondu sur le même papier, mais répondu si certainement à mes billets écrits, qu’il n’y ait plus moyen de dire non.
Examinez donc bien celui-ci, ces deux écritures, sa forme, son papier, ses déchirures, ses plis, ses cachets, et surtout brûlez-vous les yeux sur la place de la réponse. Elle est de la main de M. Duverney répondant à ma chère amie, écrite sur la même page que mon billet, immédiatement au-