Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/506

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vous m’avez faites pour l’établissement d’une compagnie de la Louisiane, elles font infiniment d’honneur à vos talents, et ne sauraient qu’augmenter l’opinion que j’en ai conçue.

« J’ai été, monsieur, fort aise de vous connaître, et je le suis de pouvoir rendre témoignage de votre capacité… Je serai charmé de pouvoir vous rendre service en toute occasion : en attendant, j’ai le plaisir de vous souhaiter un bon voyage, et de vous prier de me croire, etc.

Signé le marquis de Grimaldi. »


Dès ce temps-là je n’étais donc pas ce petit homme que le grand comte de la Blache voudrait bien qu’on méprisât toujours comme un polisson, comme un vrai Tirassoun ! Voilà donc l’opinion de M. Duverney justifiée par celle du ministre d’Espagne ; le besoin de consistance et les deux cent mille livres de billets fondés, et la méprisable ruse du légataire universel mise dans tout son jour.

Autre ruse aussi misérable ! Voulant donner le fonds d’un contrat de soixante mille livres pour une donation déguisée de M. Duverney, le soussigné cite (p. 30) ces termes de l’acte du 1er avril : « Comme j’exige que M. de Beaumarchais me rende la grosse du contrat de six mille livres viagères qu’il a de moi, quoiqu’il ne dût me le remettre que dans le cas où je ferais quelque chose pour lui (ce que je n’ai pu)… » Ici le citateur fidèle s’arrête court, comme s’il n’y avait rien de plus dans l’acte à cet égard, et vous dit : Que signifierait cet exposé, sinon que c’est une donation déguisée, etc., etc. ? Mais cet honnête écrivain du comte de la Blache ne fait en ceci que copier la pitoyable ruse d’un autre honnête écrivain du comte de la Blache, que j’avais déjà couvert de confusion dans mon mémoire au conseil, où l’on voit cette phrase (p. 361) : « Lisez, je vous prie, la partie du texte écartée par mon loyal adversaire, après ces mots : ce que je n’ai pu ; vous verrez dans l’acte ceux-ci, que M. Duverney ajoute : Et j’en reçois le fonds (de ce contrat) en quittance de la somme de soixante mille livres, aux termes dudit contrat.

« Donc, aux termes dudit contrat, les soixante mille livres avaient été fournies par moi : donc cette rente était fondée sur un capital reconnu ; donc l’article invoqué pour prouver que c’était une libéralité démontre évidemment le contraire ; donc mon indignation est toujours légitime. »

À quoi j’ajoute aujourd’hui : Donc mon indignation doit s’accroître encore, en voyant un ennemi sans pudeur toujours reverser dans de nouveaux mémoires, à mesure qu’il change de tribunal, tous les arguments déjà foudroyés par mes réponses et proscrits par les arrêts qui le condamnent. Et ce rhabillage est une des fortes raisons de la répugnance invincible qu’il a, dans ce parlement, de joindre au procès tous ses anciens mémoires. Mais je lui en ferai l’injonction bien timbrée, parce que c’est la manière la plus sûre de les obtenir.

Autre ruse encore plus misérable :

Pour donner un air de contradiction et de louche aux objets les plus clairs, il feint d’oublier (p. 50 et 51) que, lorsque j’envoyai les deux doubles de l’acte à M. Duverney, le 22 mars 1770, en lui demandant rendez-vous pour finir, il me répondit : À sept heures, ce soir ; et là-dessus voilà mon soussigné qui déraisonne à perte de vue, avec ce bruissement fatigant que les Latins nommaient verba et voces, et que nous traduisons en français par le mot énergique amphigouri.

En examinant les choses, on sent que je ne manquai pas au rendez-vous de sept heures du soir, puisqu’il s’agissait de finir : on sent encore, en voyant l’acte daté du 1er avril, que quelque chose a mis obstacle à sa consommation le 22 mars, et que j’en ai rapporté les deux doubles, puisque ma lettre du 5 avril prouve ensuite qu’ils sont retournés, avec les pièces, le 30 mars ou le 1er avril, chez M. Duverney.

Dans cette lettre du 5 avril, inquiet d’avoir remis tous mes titres et de ne pas recevoir un des doubles de l’acte signé Pâris Duverney, on voit que je lui demandais avec instance : « Depuis trois jours… ces doubles… vous les avez gardés tous deux ! où en serais-je ? En vérité, cela fait frémir ! Au nom de l’amitié, renvoyez-m’en donc un, et faites de l’autre ce qu’il vous plaira, etc. » À quoi M. Duverney y répondit en m’envoyant le double… voilà notre compte signé.

Comment donc tout cela peut-il être contradictoire ? On n’en sait rien : aussi le subtil raisonneur s’est-il tellement empêtré dans sa propre ruse, qu’en lisant son reproche on ne peut deviner ce qu’il a voulu dire. Fiat lux !

En honneur, quand on voit de si plates finesses, une mauvaise foi si lourde et si bête, on est tenté, comme dit un de mes amis, de se presser d’en rire, de peur d’être obligé d’en pleurer. Tout est de la même force et brille d’une si grande clarté dans cette consultation, que, quand le comte de la Blache ajouterait aux noms de quatuor advocati subsignati, duodecim millia signati du septième chapitre de l’Apocalypsos, elle n’en resterait ni moins obscure, ni plus raisonnée, ni mieux écrite, ni plus honnête, ni plus probante. Donc, puisqu’on ne sait ce que c’est et qu’on n’en peut rien tirer, le plus court est de la laisser là pour toujours. Ainsi soit-il !

Ici finit le recueil des ruses employées contre moi par le comte de la Blache en ce procès ; car je ne veux pas lui faire le tort de croire qu’il ait contribué a répandre avec une profusion scandaleuse, à faire colporter et crier, il y a trois mois, dans les rues d’Aix : « À deux sous la réponse véritable et remarquable de la demoiselle d’Éon à monseigneur Caron Carillon, dit Beaumarchais, etc… » Cela serait aussi par trop rusé.