Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/515

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Si c’est à titre de calomnie que vous demandez la conflagration et lacération de mon mémoire, il vous faudrait au moins la prouver, cette calomnie ! Que si vous n’y parvenez pas, il s’ensuivra qu’en m’appelant calomniateur, ce sera vous-mêmes encore qui m’aurez calomnié. Alors, messieurs, s’il fallait brûler le corps matériel du délit, que deviendraient la langue et les écrits des adversaires ? etc. Il y a comme cela mille choses dont il ne faut pas trop presser les conséquences, et vous devez me savoir gré de ne pas pousser celle-ci plus loin.

Il est certain qu’entre mon adversaire et moi il y a un calomniateur à punir ; et de ma part je consens à l’opprobre, à la peine encourue, si je me suis écarté de la vérité dans un seul point de mes défenses, et si j’ai même cherché ces défenses dans des points de la conduite de mon adversaire étrangers à la question que j’ai traitée. Mais, la preuve de la calomnie une fois bien faite, ou par l’un ou par l’autre, je demande avec instance que celui qui restera sous cette preuve y laisse aussi sa vie ; non pas, s’il faut me pendre, qu’on en doive faire autant, dans le même cas, au comte de la Blache : il est noble, dit-il, et ce n’est pas là son genre de mort. Mais, comme dit fort bien le pauvre Bernadille, lorsqu’il faut payer de sa personne, il importe si peu d’être allongé ou raccourci, que cela ne vaut pas la peine d’en parler.

Venons maintenant à la dénégation que vous faites d’avoir jamais connu les lettres familières avant le procès entamé. Je n’ai pas le temps de faire de phrases. On nous juge après-demain. Pressons-nous donc de prendre les armes : Annibal est aux portes de Rome ; avançons. Et, suivant toujours ma méthode usitée, voyons de quoi nous convenons, vous et moi, sur cet autre fait important ; le reste après est peu de chose.

Nous convenons, vous et moi, que les lettres existaient avant le procès et lors de la mort de M. Duverney, puisque la seule proposition que vous puissiez accepter, selon votre lettre du 31 octobre 1770, était celle que je vous avais faite quelque temps avant, de remettre chez mon notaire « mon titre et les lettres à l’appui en originaux, pour que vous puissiez les examiner et en prendre connaissance. »

Nous convenons encore, vous et moi, que, dans ma lettre du 30 octobre 1770, à laquelle vous répondiez par celle du 31, je vous avais mandé : « Je me suis pressé de renvoyer à mon notaire mes papiers qu’il m’avait rendus. Or, ces mots mes papiers ne pouvant se rapporter à l’acte seul du 1er  avril, qui est une pièce unique, mes papiers voulaient donc dire « mon titre et les lettres à l’appui, en originaux. »

Dans ma lettre du 6 novembre, après vous avoir parlé de mon titre de créance remis chez Me  Mommet, notaire, je vous dis, dans une phrase que je n’ai pas imprimée, quoique je vous l’aie communiquée, et que la minute entière soit au procès ; je vous dis ces mots : Soit que vous y ayez été ou non, je les retirerai (ce que je ne fis pourtant pas). Or les retirer n’est pas retirer la pièce unique qui est mon titre, mais retirer le titre et les pièces à l’appui ! les retirer ! Voilà ce dont nous convenons encore, vous et moi : car nous ne pouvons pas faire autrement, les pièces étant sur le bureau pour nous démentir si nous tergiversons.

Nous sommes d’accord aussi, vous et moi, que, le 25 septembre 1771, vous n’étiez nullement inquiet, comme le dit votre soussigné d’écrivain dans la consultation de Paris, que j’ai réfutée ; et que vous ne commençâtes pas à cette époque à vouloir tirer des lumières de moi, que vous aviez déjà, puisque vos lettres et vos visites à Me  Mommet, en 1770, prouvent que vous saviez dès ce temps-là tout ce qu’on prétend que vous vouliez apprendre à la fin de 1771.

Maintenant que déniez-vous donc, monsieur le comte ? car il faut s’entendre ; et puisque je dois toujours être le correcteur des idées de vos avocats, il nous faut donc à mesure poser des bases certaines pour nettoyer tout ce qu’ils disent ; sans cela, nous ne finirons point. Entendez-vous dénier d’être allé, dans le mois de novembre 1770, chez Me  Mommet, examiner l’acte et les lettres ? Entendez-vous dénier d’y avoir mené M. Dupont, M. Ducoin et plusieurs autres personnes ? Entendez-vous dénier que les lettres fussent déposées avec l’acte ; que ces lettres, que j’avais offert depuis longtemps de soumettre à votre examen en originaux, soient restées en arrière, lorsque j’ai remis l’acte et les pièces à l’appui chez le notaire ?

Mais, premièrement, si j’avais fait cette grosse et malhonnête lourderie, quels cris n’eussiez-vous pas alors jetés sur ma mauvaise foi d’annoncer des éclaircissements, des titres, et de les soustraire ensuite ?

2o Ce n’est pas là ma marche, on le sait, et vous n’en avez formé aucune plainte ; au contraire, c’est d’après ces premières communications à l’amiable que vous avez exigé qu’elles fussent jointes au procès, ce que j’ai fait ; et cette preuve-là n’est déjà pas mauvaise.

3o Dans le mémoire du sage Bidault, pour le vexé Beaumarchais, aux requêtes de l’hôtel, cet avocat a imprimé nettement (page 11) ce qui suit :

« Le sieur Duverney est décédé sur la fin du mois de juillet 1770. Au mois d’août suivant, le sieur de Beaumarchais écrivit au comte de la Blache, et lui fit part des droits qu’il avait à répéter sur la succession.

« Le comte de la Blache lui répondit qu’il n’était nullement instruit des affaires qui étaient entre lui et le sieur Duverney.

« Pour lui donner les instructions nécessaires, le sieur de Beaumarchais remit à Me  Mommet,