Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/571

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disaient-ils, qu’il faut traiter avec la dame Kornman. Après l’avoir tympanisée, tâchons, à force de promesses, de l’arracher à son parti, de lui faire abandonner ses amis et ses protecteurs ; puis faisons un mémoire pour elle, contre ceux mêmes qui l’ont servie ; rendons-les odieux, infâmes, en faisant écrire à la dame qu’elle a été corrompue par eux, jetée dans ce procès par ceux que l’on n’y voit qu’à l’occasion de cette infortunée.

Que dites-vous, monsieur de Beaumarchais ? Où puisez-vous tant de noirceurs ?

Lecteur, examinez mes preuves ; elles ont été plaidées publiquement.

Le défenseur de la dame Kornman a démontré à l’audience toute la série des démarches qu’ils ont faites pour arriver à cette transaction : il a prouvé qu’ils ont été trouver un jurisconsulte estimé, plein de talent, de probité, qui leur a paru propre à négocier ce raccommodement secret, dont ils se flattaient sans doute que la noirceur lui échapperait.

Allez, ont-ils dit au négociateur ; proposez à madame Kornman le retour certain d’un bonheur qui la fuit depuis si longtemps. Il ne s’agit, pour elle, que de signer une transaction amiable, de nous livrer deux hommes, Le Noir et Beaumarchais, qui sont deux méchants corrupteurs ; de les abandonner à la fureur de moi Bergasse, à la vengeance de son époux. Et s’ils s’avisent de s’en plaindre, je ferai pour elle un mémoire, comme j’en ai fait un pour lui. Elle reverra ses enfants ; son mari payera ses dettes, et ceux dont il faut nous venger resteront couverts de mépris. Nous les tenons ! nous les tenons !

Le défenseur a lu ensuite à l’audience différents billets de Bergasse ; puis une transaction minutée par le même, dans laquelle on soumet la dame Kornman à écrire une lettre qu’on doit rendre publique ; où l’on veut lui faire dire qu’elle n’a pas attendu la publication du mémoire de Bergasse pour rendre justice à son mari ; où l’on veut qu’elle ajoute encore qu’elle va s’éloigner de M. Le Noir et de moi, qui avons excité les réclamations de son mari. Et, si elle consent à signer cette transaction perfide, on lui promet que Kornman lui amènera ses enfants ; qu’il me fera offrir judiciairement ce qu’elle me doit, et que son mari lui donnera des marques de la plus sincère réconciliation : et ce chef-d’œuvre de Bergasse est écrit, signé de sa main !

Le négociateur montre la transaction à la dame Kornman. Elle sent qu’on lui tend un piége, non pas le négociateur, mais les gens qui l’en ont chargé. Elle refuse obstinément de signer un tel acte. On cherche à tempérer les choses. Autres billets au négociateur, e II faut au moins, y dit Bergasse, que vous ameniez madame Kornman à écrire à M. Le Noir et à Beaumarchais des lettres nobles et simples, dans lesquelles elle assure que, revenue de son erreur, et voyant le sieur de Beaumarchais, n’a pas un petit mot o l’abîme où on l’a plongée, elle s’éloigne d’eux e sans retour. Par là je déconcerterai toute la facci turc du mémoire de Beaumarchais, i e qui est bien essentiel. Madame Kornman le payera. Je lui amènerai ses enfants, et nous concerte" IIO.XS SOS INTERROGATOIRE DE MANIÈRE i « CURER SA JUSTIFICATION. ■>

Eh quoi ! cet homme affreux ne tremblait pas d’écrire:Nous concerterons son inten jui ? Contre son mari, le seul qui l’a vilinus la plume de celui même qui veut lui faire cet interrogatoire, e me il,; erté l accu aii’n de son mari ! Ainsi cet effronté, Vomnis homo dand cette affaire, dirige la plainte, est l’accusateur, le conseil, le témoin, l’écrivain, l’avocat, du mari, et veut être celui de sa femme ! l’horreur ! ô l’horreur !

La dame Kornman, sentant tout l’avantage d’obtenir quelque preuve d’un aussi noir complot, demande communication des pièces. Le courage des conjurés s’accroît à cet espoir trompeur. Bergasse écrit, dans un autre billet qui doit lui être — mvons madame Kornman sur

n toutes choses. Préparez le canevas des lettres dont je vous ai entretenu. Je contribuerai de bon cœur à lui faire jouer dans le public le rôle le plus intéressant et le plus noble, pourvu qu’elle veuille s’y prêter. »

Quand j’ai dit que tout ce procès d’adultère n’était mis en avant que pour servir d’autres vengeances, a-t-on pu même soupçonner que j’en fournirais cette preuve ? Sauvons madame Kornman sur toutes choses, dit-il… Je contribuerai de bon cœur à lui faire jouer le rôle le plus noble le plus intéressant, pourvu qu’elle veuille s’y prêter ! Pas un mot qui ne soit précieux.

Dans un autre billet, il demande au jurisconsulte une consultation sur le moyen de terminer la transaction projetée. Mais, comme son but n’est que de tromper, qu’elle soit, lui dit-il, un chef-d’œuvre et de finesse et de logique. Il voudrait qu’elle pût paraître au moment même de mon mémoire.

Dans un autre billet, il écrit : « N’oubliez pas, en parlant à la dame Kornman, de lui dire que M. Le Noir a voulu la faire enfermer à cent lieues de Paris, » etc., etc. Il ne cherche à indigner cette dame par tant de fables concertées, que pour en obtenir qu’elle écrive dans sa colère les lettres qu’il a désirées, et qu’il voudrait faire imprimer dans la nuit même : ce qui, ajoute-t-il, est bien important à cause du mémoire de Beaumarchais qui va paraître, et dont il dit savoir tout le contenu.

Mais, pendant que l’intrigue s’avance, Kornman réfléchit que, dans la transaction, Bergasse n’a inséré que des phrases en son honneur, qu’il y est appelé le sensible, le vertueux, le généreux Bergasse ; et que lui, Kornman, qu’on oblige à payer le sieur de Beaumarchais, n’a pas un petit mot