Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/612

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme des feuilles sèches devant les aquilons d’hiver.

Le ministre sourit, accepta ma proposition. Je refais l’acte, et j’y insère le dédit de cinquante mille francs que je venais de proposer. Ce que j’avais prévu arriva. Le jour même, au premier mot de ce dédit, mes honnêtes gens courent encore ; on ne les a jamais revus, et nous passâmes le traité.

Mais je vais faire ici une observation assez majeure, et qui fixe à toujours l’opinion qu’on doit prendre de la franchise et de la loyauté avec lesquelles ce traité-là fut fait. Pesez bien cette circonstance, Lecointre, mon examinateur ! elle vous donnera la clef de ma conduite en cette affaire. Quoique je ne reçusse du ministre que cinq cent mille francs d’assignats : croyant avoir chez moi en un paquet pour six cent mille francs de contrats, je dis au ministre, en signant, qu’au lieu de déposer cinq cent mille livres, je lui en déposerais six cent mille, ne voulant point faire de rompu, et m’étant très-égal, puisque tous ces contrats me devaient revenir, qu’il y en eût chez lui pour cinq ou pour six cent mille francs. Notre acte fut signé ; mais lorsque je voulus apporter mes contrats pour toucher les cinq cent mille francs, il se trouva qu’au lieu d’un paquet de six cent mille livres je n’en avais qu’un chez moi de sept cent cinquante mille. Pour ne rien morceler, et par la raison que j’ai dite qu’il m’était tort égal que la sûreté que je donnais pour cinq cent mille francs d’assignats fût de cinq cent ou de six cent mille francs ; ma confiance était telle en l’honnêteté du ministre, que, ne me trouvant qu’un paquet de sept cent cinquante mille francs de contras-, je les lui portai tous sans hésiter, pour sûreté de ses cinq cent mille francs. M. de Graves eut alors la loyauté de me dire : « Comme tous ces contrats ne sont ni exigés ni stipulés dans le traité de nos fusils, si vous aviez besoin de quelques nouveaux fonds pour accélérer cette affaire, vous êtes sûr de les trouver ici. » — J’espère bien, lui dis-je, n’en avoir pas besoin. Je ne l’en remerciai pas moins ; mais il est clair que ni lui ni moi n’avons jamais compté que cette remise libre, de confiance et non exigée, de deux cent cinquante mille francs de ma part au delà de la somme qu’on m’avançait pût m’être contestée si je la demandais, surtout pour employer à l’affaire des fusils. Nous verrons en son temps avec quelle injustice d’autres ministres, dont il ne s’agit point encore, se sont fait un horrible jeu de ruiner l’affaire des fusils, en me refusant mon propre argent que je voulais y employer.

Le ministre (Dumouriez) des affaires étrangères chargea M.  de la Hogue de dépêches très-importantes, et il partit le lendemain. J’avais bien pressé son départ, craignant que les bureaux (qui, je le voyais trop, étaient instruits de ce traité, par l’offre qu’ils avaient fait faire, et que j’avais trouvé moyen de réduire à sa vraie valeur) ne me jouassent le mauvais tour, si je perdais un seul courrier, de faire devancer le mien, et de me brasser quelque intrigue pour embarrasser notre marché.

Mais j’avais eu beau le presser ; et, quoiqu’il courût jour et nuit, ayant en portefeuille de sept à huit cent mille francs en lettres de change ; à son arrivée à Bruxelles, tombant chez un de mes amis, à peine avait-il pu lui dire l’objet pressant de son voyage, qu’un homme de qualité du parti ennemi entre chez cet ami, et lui demande — il ne connaissait point nn certain M. de lu Hogut. qui i ■ nait chez lui de Paris; s’il n’était pas encort arrivé. Mon ami joua l’étonné, dit qu’il n’en avait point d’avis. C’est un homme qui nous < ^i sus/net, dit l’orateur un peu bavard:il passera fort mal son /> mps i< i.

Sitôt qu’il fut sorti, M. de la Hogue convint départir sur-le-champ pour Rotterdam, emmenant avec lui mon ami de Bruxelles, qui m’écrivit ce détail inquiétant de Malines, le’.i avril. (Ainsi voilà déjà les ennemis au fait.) Mais, quelque diligence que ti sent mes amis, ils trouvèrent à Rotterdam le gouvernement hollandais aussi bien instruit que nous-mêmes de notre traite de Paris, ainsi que celui du Brabant. On me l’écrivit sur-le-champ. Bravo ! me dis-je alors, honnêtes bureaux de Paris ; ah ! j’avais trop raison quand j’insistais à ce que vous ne fussiez pus instruits. Je répondis a mes ami— : Pressez-vous, allez comme au feu, car voilà l’intrigue à nos trousses.

Qu’arriva-t-il ? C’est que la guerre, au lieu d’être éloignée, comme M. de Graves le pensait, de trois ou quatre mois du traité des fusils, lut déclarée le 20 avril, c’est-à-dire dix-sept jours après la signature de ce traite. Là les obstacles commencèrent. Qu’arriva-t-il encore ? C’est que le gouvernement île Bruxelles, sachant qu’un patriote aussi zélé que : moi était le maître de ces fusils, engagea le gouvernement hollandais à semer d’entraves, — il pouvait, leur expropriation ou leur extradition : et vous allez voira l’instant comment les Hollandais y ont bravement procédé.

Qu’arriva-t-il encore ? C’est que mon pauvre vendeur bruxellois perdit l’octroi à lui donné par l’empereur pour tout le reste des fusils brabançons ; qu’on lui en reprit même une partie de sept ou huit mille qu’il avait déjà rassemblés, et qu’il m’écrivit douloureusement que tout le bénéfice qu’il avait compté faire sur les deux cent mille fusils (pour cela seul qu’il avait traité avec moi, c'est-à-dire pour le service de la France) se réduisait à ce qui pourrait résulter des soixante mille dont j'étais possesseur. Alors je vis combien il regrettait d’avoir consenti au triage des armes que j'avais exigé de lui, au lieu de me les vendre en bloc. Je le consolai de mon mieux, en le grondant, et lui disant que c’était un motif de plus pour presser de toute