Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/628

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« Je crois qu’il y aurait du danger que cette question fût agitée dans le sein de l’Assemblée nationale, à cause de la publicité ; mais, si vous voulez bien, monsieur le président, me faire connaître l’avis des comités, je ferai repartir sur-le-champ M. de la Hogue, qui a été porteur des dépêches de notre ministre à la Haye, pour que ce dernier fasse à l’instant ce qui sera nécessaire pour faire cesser une injustice qui nous est si préjudiciable.

« Signé Chambonas. »

Il était impossible que des ministres, quels qu’ils fussent, se comportassent plus honorablement.

Le soir j’appris, par M. de la Hogue, qu’en général on convenait aux comités qu’il fallait accepter ce qu’on nommait mes offres généreuses, qui, de ma part, n’étaient que l’expression d’un vrai patriotisme, sûrement dans le cœur de tous. On dit à M. de la Hogue qu’on enverrait aux deux ministres l’avis des trois comités réunis. En l’écoutant, je fis un soupir de soulagement. Dieu soit béni ! dis-je : tous les hommes ne sont ni injustes ni atroces ! et la France aura les fusils.

Dans la crainte qu’on n’oubliât l’affaire, j’écrivis sur-le-champ cette lettre en forme de mémoire :

À messieurs des trois comités, diplomatique, militaire et des douze, en assemblée avec les deux ministres de la guerre et des affaires étrangères.

« 16 juillet 1792.
« Messieurs,

« Si, dans l’affaire des fusils détenus en Hollande, ma conduite vous a paru telle, que chacun de vous se fût honoré d’en tenir une semblable, en bons patriotes que vous êtes, je vous demande, pour toute récompense, de ne pas me laisser exposé à l’affreuse nécessité de céder aux demandes des ennemis de l’État !

« Je mourrais de chagrin, après ce que j’ai fait pour les priver de ces ressources, si votre décision me forçait à la honte de les laisser se mettre en possession des armes destinées à nos braves soldats.

« J’irai, pour les empêcher, au dernier terme de mon pouvoir : c’est à vous à faire le reste,

« Agréez, etc.

« Signé Beaumarchais. »

Le lendemain au soir, les ministres me dirent que mes offres étaient acceptées par les comités réunis, avec beaucoup de gratitude. Ils eurent même l’honnêteté, sur ma demande instante, de me communiquer l’avis particulier des trois comités réunis, dont je les suppliai de me faire donner copie, pour l’étudier et tâcher de m’y conformer, touché de voir qu’on commençait à m’entendre. La voici :

« 16 juillet 1792.


« L’avis de la commission des douze et des comités réunis.

« 1o Pour conserver à la nation tous ses avantages et les moyens de retirer les fusils ; 2o pour rendre toute justice au négociant, dont le marché doit être considéré comme rompu par force majeure, et qui cependant, pour conserver à la nation la possibilité d’avoir ces armes, n’use pas de ses droits, et refuse un fort bénéfice,

« A ÉTÉ :

« 1o Qu’il ne faut pas acquérir, recevoir à Tervère, et réclamer ces armes, comme une propriété nationale, et qu’il est préférable d’agir fortement au nom de la nation, mais pour le négociant, et d’exiger le redressement du tort qui lui est fait par cette violation du droit des gens ; mettre à cette affaire la plus grande force et le plus grand éclat ;

« 2o Reconnaître légalement, et faire attester en bonne forme par les ministres de la guerre et des affaires étrangères, que l’exécution du marché conclu avec M. de Graves, et la remise des armes au Havre ayant été empêchées par force majeure par la déclaration de guerre inopinée et la violation du droit des gens, ce marché doit être considéré comme résilié de fait ; mais que, puisqu’il est avantageux à la nation que le négociant, dont le patriotisme a préféré de rester dans une position dangereuse, et qui compromet sa fortune, ne profite pas de ses avantages, les fonds de ce négociant, qui restent engagés, et ne peinent rester tels qui d< son libre consentement, doivent lui être garantis, quel que soit l’événement, afin qu’il demeure indemne ;

« 3o Que cet acte nouveau doit être conclu sur-le-champ, renfermer tous les moyens de dédommagement pour le négociant, quelles que puissent être les circonstances : car, sans cela, il serait forcé de livrer ces armes aux ennemis, et ne pourrait d’aucune manière être contraint à l’exécution du marché avec M. de Graves ;

« 4o que de quelque manière que les fonds du négociant restent engagés, il a le droit d’exiger, contre la garantie suffisante des fonds, l’intérêt commercial ou industriel, depuis l’époque où par force majeure le marché s’est trouvé impossible à exécuter, 1 ( par conséquent nu. ;

« 5o C’est un nouveau marché à conclure : il faut regarder le premier comme non avenu, remettre le cautionnement, et traiter le négociant comme possédant à Tervère des armes qu’il s’engage à ne livrer qu’à la nation : à condition que dans tous les temps elles seront reçues par la nation ; à condition que, si l’on fait la guerre à notre commerce en s’emparant de cette propriété sur le territoire hollandais, le dommage en sera supporté par la nation : ce qui est la seule garantie suffisante des frais engagés.

Telle est, ô citoyen Lecointre, la base sur laquelle porta le traité calomnié que les ministres consommèrent.

Il ne s’agit, me dirent-ils, que de bien donner à