Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/638

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« S’il en est temps encore, monsieur, demandez, je vous prie, de porter vos dépêches aux trois comités réunis. Eux seuls, discrètement, doivent connaître de l’affaire : elle est perdue si elle devient publique. » Je promets au courrier trois billets de cent sous, s’il fait vite ma commission. Il court : il était temps : M. Christinat allait lire.

Sur ma lettre, il demande à traiter cette affaire avec les comités : on décrète. Il me fait dire d’être tranquille, et voilà ma douleur passée. Je paye mon actif courrier, et lui dis de venir recevoir mon paquet quand il aura celui des comités. J’écris, je console la Hogue sur ce retard de peu de jours, que M. Lebrun m’a promis de réparer très-promptement ; je le supplie de regagner alors le temps perdu, en allant comme au feu tirer d’inquiétude M. de Maulde, qui l’attendait depuis près de deux mois.

Je retourne à trois heures chez M. Lebrun le ministre. Il rentrait. Je descends de voiture. Il s’arrête sur son perron, m’y dit trois mots fort secs, et, profitant de ma surprise, il me quitte assez brusquement.

Ces trois mots me frappèrent comme d’un coup de foudre. Je jugeai qu’il savait déjà l’affaire du courrier du Havre. Je revins chez moi fort ému lui écrire mon sentiment sur les trois mots qu’il m’avait dits, pour empêcher qu’ils n’eussent leur effet diabolique.

Je vous supplie, ô citoyens, de lire ma lettre à ce ministre avec toute l’attention que je demandais à lui-même : cette lettre est le pronostic de l’horrible persécution qui va commencer dans l’instant.

« Monsieur,

Lisez ceci, je vous en prie, avec toute l’attention dont vous êtes capable.

Quand vous m’avez dit ce matin que M. la Hogue était moins propre en ce moment qu’un autre à terminer l’affaire des fusils de Hollande, à cause de la publicité que tous les malveillants lui donnent, et que c’était l’avis de MM. les ministres : qu’en conséquence on allait faire remettre, au Havre, {M.|la Hogue}} en liberté d’en partir, non pour la Hollande, mais pour le dedans du royaume, j’ai bien jugé, monsieur, qu’il y avait encore quelque malentendu sur lequel vous aviez besoin de recevoir de explication nette, qui vous tirât de deux ou trois erreurs où vous paraissez être sur le fond d’une affaire qui ne peut plus nous être utile qu’autant qu’elle est bien éclaircie et menée très-habilement.

« Mais comme je suis le seul homme qui puisse la traiter avec méthode, exactitude et fruit, puisque depuis cinq mois elle est ma grande affaire comme négociant et comme patriote, j’ai préféré, monsieur, l’honneur de vous écrire à celui de répondre verbalement à ce que vous disiez parce que dans les temps difficiles un homme sage ne doit rien articuler ni proposer sur un objet aussi majeur, dont il ne reste au moins des traces par écrit, et des notes fidèles qui puissent servir à le justifier.

« J’ai préféré de vous écrire aussi, afin que vous puissiez aussi, monsieur, en conférer avec tous les ministres sur des renseignements bien clairs, et m’accorder ensuite le moment de la traiter à fond politiquement devant eux. Cela est d’une grande importance pour la patrie, et pour eux, et pour moi. J’insisterai donc là-dessus, si vous daignez me le permettre. Voici le précis de la chose :

« Premièrement, monsieur, M. de la Hogue n’est point en arrestation au Havre comme vous pairaissez le penser. Il y est, depuis trois semaines, chez MM. Le Couvreur et Curmer, mes correspondants de cette ville, où il attend mes derniers renseignements pour s’embarquer pour la Hollande. Car je lui ai écrit le 16 que, rien ne finissant à Paris dans le trouble où sont les affaires, je lui conseillais de partir, afin qu’il fît au moins la guerre à l’œil en attendant, et ne laissât point entamer de démarches fortes à notre ministre à la Haye jusqu’à ce que le cautionnement qu’il attend lui fût arrivé, pour que tout s’achevât ensemble. C’est parce que son passe-port est vieux, qu’on envoie un courrier pour le faire renouveler, et non pour prononcer sur son arrestation, laquelle n’existe pas.

« Secondement, monsieur, par quelle subversion d’idées empêcherait-on de partir le seul homme qui peut nous livrer les fusils ?

« Quel autre peut, monsieur, terminer cette affaire, que M. la Hogue en mon nom, à moins que ce ne soit moi-même, puisque ces fusils sont ma chose, et que M. la Hogue, mon ami, mon agent, mon chargé de pouvoir, ayant toutes mes instructions, tous mes fonds, mon crédit ; ayant seul commencé mes négociations, soit de l’achat, soit de la vente, peut seul, si ce n’est pas moi, sortir des magasins les fusils pour vous les remettre, en subvenant à tous les frais d’embarquement, de comptes, et à tous règlements où le traité m’oblige envers la France à l’occasion de ces fusils ? Car, si M. de la Hogue ne vous les livre pas, personne au monde ne peut vous les livrer là-bas, parce que nul n’y a droit à ma chose que mon agent ou moi, monsieur.

« Troisièmement, lorsqu’on dit dans le traité (art. 7) :

« Nous nommons M. de la Hogue pour aller terminer l’affaire, comme étant l’homme le plus capable, par son zèle et par son talent, de la bien achever ; c’est en mon mon, monsieur qu’on l’a nommé, puisque c’est en mon nom que l’on doit continuer à réclamer les armes. Je n’aurais pas souffert qu’on en nommât un autre ! Ce n’était que pour lui donner plus de sûreté dans sa route qu’on a imaginé de traiter sa mission comme office ministériel, afin qu’il