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VIE DE BEAUMARCHAIS.

y oublie si vite depuis que la Révolution et son drame multiplient les changements à vue ; l’administration du jour connaît si peu ce qu’a décidé l’administration de la veille, qu’il se trouve tout à coup exilé par l’une, après que l’autre l’a pris pour agent à l’étranger ! Son absence par ordre, dont on ne sait plus le motif, lui est comptée comme émigration !

S’autorisant de ses anciens emplois à la cour, on l’a sérieusement porté sur la liste des émigrés, on a mis la main sur tout ce qu’il possède, et l’on a enfermé sa femme, sa fille et sa sœur à Port-Libre !

Lecointre est d’ailleurs revenu à la charge avec sa fameuse affaire des fusils, et pour y faire un tel bruit, que l’Angleterre veut en finir. La cargaison est d’urgence transférée de Tervère à Plymouth, où l’ami de Beaumarchais, qui s’en est fait le possesseur fictif, est obligé de la vendre presque à vil prix en juin 1795.

Beaumarchais cependant vit à Hambourg, triste de son exil et de la captivité des siens, sans ressource, presque misérable, d’autant plus mélancolique et solitaire que l’infirmité dont, nous l’avons dit, il a souffert de si bonne heure ne fait que croître : elle « le rend sourd, dit-il, comme une urne sépulcrale. »

Il ne put revenir qu’au mois de juillet 1796. Alors il maria sa fille avec un ancien aide de camp de La Fayette, M. André Delarue ; il rentra dans sa maison, qu’on finit par lui rendre, et se remit à la tâche de sa grande créance sur les États-Unis, sans oublier celle de 245,000 francs qu’il avait à réclamer de notre gouvernement. Les 745,000 déposés par lui en 1791, sur lesquels il n’avait, en deux fois, reçu, nous l’avons dit, que 500,000 francs de la Convention, en étaient le gage et la preuve. Il se débattit, entre ces deux dettes républicaines aussi réfractaires, aussi insaisissables l’une que l’autre, et s’y épuisa.

Le matin du 18 mai 1799 il fut trouvé mort dans son lit, tué par l’apoplexie.

C’est dans cette mort silencieuse et calme que s’endormit cet homme de tous les bruits et de toutes les agitations, pour la tombe duquel il semble qu’ait été faite la célèbre épitaphe : Quiescit tandem.

Édouard Fournier.
25 octobre 1875.