contents. Pour le passé, il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher les ressentiments qu’on me garde ; ce sera au roi à m’en garantir, et, en vérité, c'est la moindre chose qui me soit due.
En voilà assez pour cet objet : ne faites pas perdre un instant à mon courrier. M. de Vergennes vous communiquera sans doute ma grande dépêche ministérielle.
LETTRE XVI.
au ministre de la marine.
Envoyée le 19 septembre 1777.
Monsieur,
En vous répondant sur le triste désarmement projeté de mon vaisseau de Rochefort, je ne veux ni ne dois rien vous dissimuler, puisque, dans cette affaire, il s’agit autant des intérêts de l’État que des miens.
Lord Stormont s’est plaint, dit-on, qu’un vaisseau que le roi vient de vendre est destiné pour les Américains. D’où le sait-il ? Quelques rapprochements hasardés le lui font seulement présumer. Mais le comble de l’audace n’est-il pas d’oser l’affirmer aux ministres du roi, qui savent tous, par mon aveu secret, que jamais ce vaisseau ne fut destiné pour les Américains ; qu’il est plutôt armé contre eux, puisque je le destine à m’aller chercher promptement et d’autorité des retours que l’indolence ou la pénurie de mes débiteurs me retiennent trop longtemps ? Voici le fait, monsieur, et comment j’ai raisonné.
L’Amérique aujourd’hui me doit cinq millions. Par mes derniers essais, je vois que les seuls retours qui puissent me convenir en ce moment sont le tabac. Or un navire ordinaire ne peut m’en rapporter au plus que trois cents boucauts, lesquels, tous frais d’armement et de désarmement prélevés, me rendraient à peine, en France, cent cinquante mille livres. D’après ce calcul exact, pour parvenir à recouvrer ici la somme de cinq millions en tabac, je devrais armer trente-deux vaisseaux, courir trente-deux fois le danger d’être pris en allant, autant en revenant, et perdre au moins trois ans d’attente, sans compter les mille et une contradictions que j’éprouverais en faisant ces trente-deux périlleux armements.
Il m’a donc fallu chercher un autre moyen de remplir honorablement mes vues. Trop d’ennemis, monsieur, vous le savez, sont conjurés à ma ruine, pour que je n’épuise pas tous les moyens permis d’en sortir à mon honneur : car si le succès attire l'envie, le succès seul peut aussi l’atterrer : c’est ce que je tente aujourd’hui, en armant un vaisseau de mille tonneaux avec lequel je dois, en un voyage, aller chercher et rapporter le cinquième et peut-être le tiers de ce qui m’est dû, sans craindre qu’il soit pris en route ; car ce navire est un bon porte-respect. Or, s'il convient aux vues pacifiques du gouvernement qu’aucun vaisseau français ne cherche noise à personne, ce mèni • : ! pas aussi que les plus importants vaisseaux de son commerce aient si bonne mine, que tout brutal Anglais y regarde à quatre fois avant d’oser les insulter ?
Quant à mes travaux, à mes précautions, les voici. Déjà mon subrécargue est parti puni aller acheter et faire amonceler au port de Williamsbourg ou d’Annay.olis, dans la baie de Chesapeak, autant de tabac que mes vaisseaux en pourront contenir ; déjà l’ordre est donné au cap Français de ne laisser partir aucun de mes navires, qui y sont ou y arriveront, mais d’y attendre mon vaisseau de Rochefort pour charger ensemble et en être convoyés au retour : car, depuis la perte de la S< ine, ils m’ont encore pris l’Anna, parti de Saint-Domingue, et l’ont conduit à la Jamaïque. Si je ne m’en suis pas plaint, c’est que j’ai trouvé tout le monde onsolant sur mes chagrins.
Déjà le rendez-vous de tons mes vaisseaux, notamment du dernier parti de Marseille, el le point de ralliement de ceux qui sont à Charlestown ou dans le nord-est, est fixé à cette même baie de •■’. A l’instant où la mer cessera d’être tenable aux croiseurs anglais, mon vaisseau de Rochefort y entrera pour convoyer tons mes navires, el m’en rapporter les cargaisons. Or me laisser suivre un plan au si savamment combiné depuis six mois, ou le déranger d’un coup de plun différence de ma ruine entière à mon sucer’— le plus brillant.
Si mon vaisseau reste au port, où trouverai-je des secours pour en équiper d’autres ? qui me rendra dix mille louis que celui-ci me coûte ? qui me remboursera de l’achat et des transports des ballots que j’v ai ramenés de tous les pays pour l’aire son chargement ? qui me rendra les quinze mille louis que je paye aujourd’hui pour quinze mille fusils que je viens d’envoyer ? el 1rs Irais de mon dernier armement ? et mes achats de Virginie, qui 3 à teronl sur les ports, raute de les avoir enlevés à temps ? et mes faibles vaisseaux qui seront [iris au retour, parce que, comptant leur donner un foianiilal.il’convoyeur, j’ai négligé de les mettre en état de défense ! Un million, monsieur, oui, un million ne pourrait pas réparer un tel désordre, comme je von— l’écrivis la semaine passée. Est-ce le lord Stormont qui me pavera ce dédommagement ?
Vous voyez bien qu’en tOUl eeei les America i lis
ne sent pour rien ; mais moi, qui ne puis envoyer
de contre-ordre nulle part, j’y suis tellement r
tout, que, si vous arrêtez mon vaisseau, je me vois
sur le champ ruiné, di n seulcmeul à
pendre ou à noyer : je donne le rlmix pour nue
épingle.
Apres vous avnir parlé sans déguisement, comme chargé d’affaires secrètes, je dois, en ma qualité de négociant français, assurer les ministres