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ESSAI SUR LE GENRE DRAMATIQUE SÉRIEUX.

mière scène avec le comte de Clarendon ; furieux, hors de lui, mais sublime s’il se peut, lorsque des ressentiments légitimes l’arracheront à sa tranquillité.

Si l’on me blâme d’avoir écrit ce drame trop simplement, j’avoue que je suis inexcusable, car je me suis donné beaucoup de peine pour l’écrire ainsi. Telle réponse qui paraît négligée a été substituée à une réplique plus travaillée qu’on y voyait d’abord. Mais qu’il est difficile d’être simple ! Je me rappelle à ce sujet une lecture que je fis de l’ouvrage, il y a deux ou trois ans, à plusieurs gens de lettres. Après l’avoir attentivement écouté, l’un d’eux me dit avec une franchise estimable, qui fut un coup de lumière pour moi : « Voulez-vous imprimer ce drame, ou le faire jouer ? — Pourquoi ? — C’est qu’il est bien différent d’écrire pour être lu, ou d’écrire pour être parlé. Si vous le destinez à l’impression, n’y touchez pas, il va bien. Si vous voulez le faire jouer un jour, montez-moi sur cet arbre si bien taillé, si touffu, si fleuri ; effeuillez, arrachez tout ce qui montre la main du jardinier. La nature ne met dans ses productions ni cet apprêt, ni cette profusion. Ayez la vertu d’être moins élégant, vous en serez plus vrai. » Je n’hésitai pas. Avec plus de génie, je me serais rendu plus simple encore, sans cesser d’être intéressant. Mais quand le style plat, aussi voisin du naïf en poésie que le pauvre l’est du simple en sculpture, m’aurait trompé ; quand il me ferait échouer dix fois de suite, je m’accuserais, sans cesser de croire que le genre sérieux et touchant doit être écrit très-simplement.

Voilà les principes sur lesquels j’ai composé le drame d’Eugénie. Cette analyse du plan me paraît donner les véritables raisons de l’intérêt que la pièce a inspiré. La lecture de l’ouvrage qui suit cet exposé, montrant combien l’exécution est restée au-dessous du projet, justifiera de même les critiques qu’on en a faites. Eugénie cessera d’être un problème pour beaucoup de gens, qui ne conçoivent pas encore comment l’enthousiasme et le dédain ont pu, dans le même temps, partager le public sur le même objet. À l’égard de ceux qui, sans examen comme sans appel, ont jugé la pièce absolument détestable, peut-être seront-ils à bon droit soupçonnés d’être hors d’état d’en juger une plus mauvaise encore.