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Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/813

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JEAN BÊTE À LA FOIRE, SCÈNE VIII.

raison c’t’homme de tantôt, mais, comme nous lui parlions amicalement, Gilles et moi, z’il nous a rossés à tripe abattue, aïe ! aïe ! aïe !

isabelle.

Mais c’est c’t’homme de tantôt qui vous a rossé, mon ch’père, à qui contez-vous ça ? est-ce que je n’y étais pas ? moi qui suis encore toute enflée des coups que j’ai reçus de lui.

gilles.

Du marchand de faïence ?

isabelle.

Eh non ! de l’homme de tantôt. Quel galimatias de faïence mêlez-vous donc là dedans ?

gilles.

Galimatias ! sans doute, quand j’en ai mon gros doigt de la main z’en suppuration. Mais si je ne lui coupe pas les deux jarrets d’un seul coup, flon ! je veux ben qu’on dise de moi que je ne m’appelle pas Annibal, Alexandre, Jules César, Gilles.

isabelle.

Est-ce qu’il n’a pas de nom, ce marchand de faïence ?

gilles.

Un nom superbe ! il dit qu’il s’appelle Charlequin, fils de Vilebrequin… Mais moi, je crois en vérité que c’est c’t’enragé d’ours, qui s’est fait savoyard, car il lui ressemble !…

isabelle, riant.

Est-ce que ça s’peut donc, z’imbécile ?

gilles.

Pourquoi pas ? j’ai vu plus de cent maris qui étaient devenus ours, oui, qui dansaient z’en ville, et qui faisaient au logis houn, houn, houn. Quand un ours aurait pris sa revanche et se serait fait homme !

cassandre.

Eh ! mais, taisez-vous donc, langues de Capharnaüm, z’ils font un bruit que je n’y vois goutte. C’te journée-ci est malencontreuse en diable ; rentrons en attendant le médecin que j’ai envoyé chercher par un Savoyard de mes amis.

gilles.

Tenez, le v’là z’avec son aide de camp qui porte la bannière de la médecine.



Scène VIII


GILLES, JEAN BÊTE, en médecin ; CASSANDRE, ISABELLE, ARLEQUIN, en apothicaire, portant une seringue à la main.

gilles, avec un doigt entouré d’une grosse poupée.

Ah ! monsieur le médecin, z’on vous attend z’avec une impatience superbe !

jean bête.

Qu’avez-vous, mon ami ?

gilles chante.

Air : Ariette de Mon pauvre cœur dans le Peintre amoureux.

J’ai bien du mal z’à t’un endroit.

jean bête.

Voyons.

gilles.

J’en souffre au bout du doigt.

Quand ça m’travaye, Aye, aye, ave, aye, J’vous pousse des cris !

jean bête.

Bon, c’est z’un panaris.

Ensemble.

GILLES. JEAN BETE. J’vous pousse des cris ! Z’un panaris, Que chacun en est surpris. Z’un panaris.

gilles.

C’est z’une enflure Qui z’est dure Z’outre mesure.

jean bête.

C’est là sa nature.

Ensemble.

GILLES. JEAN BÊTE. Ce que j’en souffre, et que j’endure, Quand on veut l’panser, Ferait renier Il faut le fourrer Dieu z’à un trépassé. Dans un lieu chaud et serré.

gilles.

Dame, quand ça renfle, C’est sans exemple, J’vnus puisse des cris !

jean bête.

Mais c’est z’un panaris.

Ensemble.

GILLES. JEAN BÊTE. J’vous pousse des cris ! Z’un panaris, Que chacun z’en est surpris. Z’un panaris.

jean bête.

Monsieur fiston, ceci vous regarde.

arlequin.

Manquez-vous d’argent, mou ami ?

gilles.

C’est par où je brille, est-ce que vous savez guérir aussi de c’te maladie-là, monsieur Piston ?

arlequin.

Si j’en avais le secret dans ce temps-ci, je serais trop z’affairé z’auprès des plus grands seigneurs, pour pouvoir songer à vous, mon ami ; mais c’est que nous avons deux façons de traiter un mal, nous l’allongeons à ceux qui payent et le raccourcissons à messieurs les gratis.

gilles.

Eh ben, là, traitez-moi sans façon, comme ces derniers : je n’ai pas le moyen d’être malade, en vérité.

arlequin.

Ça va t’être fait dans un moment.

(Il met la seringue contre sa joue, comme pour voir si le lavement est à son point.)