Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/873

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voir que personne ne respecte le mien ; en butte aux plus atroces noirceurs, troublé par mille infortunes, ma vie est devenue déplorable. Depuis un mois que le désir patriotique de prévenir un grand désordre m’a fait faire l’immense sacrifice d’une somme de douze mille francs pour les pauvres d’un grand faubourg 1, plus de cent lettres anonymes injurieuses m’ont payé de cette bonne œuvre, et votre lettre est la 422e (je viens de les compter) qui me demande des secours.

Douze secrétaires et la lampe merveilleuse ne suffiraient pas pour ré] Ire aux uns, re] sser l’injure des autres, etfairedubien à toutlemond ■’. El comment vous. Monsieur, qui vous blessez de ce que je ue réponds point à un inconnu qui demande pour une inconnue, ne calculez-vous pas que, plus un homme charitable a versé de bienfaits autour de lui, moins il lui reste de moyens pour soulager des inconnus éloignés, et dont la foule est innombrable ? Hélas !.Monsieur, je ne puis, je ne puis !

Savez-vous que ces douze mille In res, que j’étais loin d’avoir, m’ont coûté pour 1rs faire I t, 60 I.’el que si le faubourg n’eût été prêt à se révolter par misère ; si la sûreté publique nem’eûtpas emporté très-loin de mes moyens, la charité toute seule ne me l’eût pas l’ail faire ? Savez-vous que, pendanl que je vous écris avec un peu de colère, mon imprimeur attend, car c’est avec ses presses que je réponds aux scélérats ? Savez-vous qu’il y a dix-huit mois que je n’ai touché un sol de mes revenus ? Savez-vous que toutes mes maisons ont échappé dix fois au feu, et ma personne avec peine à la hart ? Si vous êtes, Monsieur, ministre des autels, je vous demande une petite place dans le Mémento de la messe pour un pauvre persécuté. Il y a eu deux hommes qui seraient bien étonnés s’ils revenaient au monde (c’est Louis XIV et Jésus-Christ), de voir comme on traite aujourd’hui les deux grands dcspotismes dont ils avaient couvert la terre. Mais il s’en élève un troisième qui esl celui du brigandage : celui-là est le pire de tous. Priez Dieu qu’il nous en délivre, et qui que vous soyez, Monsieur, recevez avec indulgence l’humeur d’un honnête homme poussé à bout sous toutes les formes. Un autre à ma place jetterait le manche après la coignée, mais je le garde pour me défendre contre les brigands qui m’attaquent, et les quatre sols qui me restent pour payer ceux qui m’aideront à en obtenir justice.

Je suis avec respect, Monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant Signé Caron de Beaumarchais.

tient les plus navrants détails sur la silnati mois, cette Révolution, dont il avait été u faite à Beaumarchais.

J. On a iu, dans Y Introduction, qu’il d< pour les pauvres du faubourg Saint-Antoiii n quo, dès les premiers

, des artisans, avait déjà

Ed. F.

nua en effet cette somme

i. Ed. F.

A MADAME PANCKOUCKE"

Maintenant, Madame, que je vous entends bien votre lettre est cent fois plus difficile à répondre que lorsque je n’entendais rien. Car on retrouve une chanson dans un ancien portefeuille, on la dot à recopier, on I envoie et l’on est quitte. Mais comment voulez— vous, Madame, que je trouve nue pièce entière à trois personnages, axe musique, premier, second dessus, alto, basse, cornet, hautbois ; que je n’ai peint vue depuis douze ans, que l’on m’a volée, et qui, si je la retrouvais, exi cerait un travail de copiste pendanl douze ou quinze jours ? El puis une scène qui n’a jamais été écrite et qui me forcerait, ] • me la rappeler, à me remettre à la harpe que j’ai quittée depuis dix ans ? J’aimerais autant qu’on me donnât pour lâche d’aller courir après ma jeunesse et toutes les folies qui l’accompagnèrent. Ma foi, Madame, j’ai bien peur de rester en chemin dans ma recherche. Un homme que j’aime et que j’estime, M. de Chalianon, nie fit la même demande l’an passe,.le me donnai beaucoup de. soins inutiles et je fus obligé île demander quartier, parce que celle partie si frivole et si agréable de mes anciennes oisivetés a ele mise au pillage pendanl les sept ou Imii années qui ont empoisonné mon âge viril. N’importe, Madame, je recommencerai mes recherches, et si le loisir d’embrasser une harpe nie vient jamais, je tâcherai de retrouver dans les recoins de mou cerveau musical les traits d’une scène qui ne manquait pas d’i ffets agréables. Elle élail haute en couleurs, connue nous l’avons dit ; li~ j. i|ic< femmes la soutenaient fort bien, dans le demi-jour d’un salon peu éclairé, le soir après souper. Elles disaient seulement que fêtais bien fou. Bon Dieu ! combien je suis devenu grave ! Il ne me reste de tout cela que le regret de ne l’avoir pas plus présent à l’esprit, pour vous satisfaire’, et le désir de le retrouver pour vous prouver avec quel plaisir je vous donnerais cette marque de respectueux deMiiieincnl el île tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Madame, Voire très-humble el très-obéissant serviteur, Caron de Beaumarchais.

M. Panckoucke m’avait faitdire qu’il me viendrait voir samedi. Je l’ai attendu toute la matinée sans le voir arriver. Serait-il incommodé ? Je relis ma lettre et j’y vois que je ne vous promets rien. Mais enfin vous me demandez des choses à peu près impossibles ! Pardon, Madame, je ferai l’impossible pour arriver à l’impossibilité que vous demandez.

. Cette lettre, citée par nous dans l’une des notes de la parade Us Bottes, lc sept lieu,’; -,.’bt i., i.-i i —..mi, — par ce que Beaumarchais dit lui-même de son talent sur la harpe et des petites partitions que. plus jeune, il s’amusait à faire sur ses farces. Ed. F.