Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/876

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pourrons jamais effacer. Il faut bien que vous dévoriez encore l’ennui de tout ce radotage, parce qu’il sera le dernier ; vous me troublez, vous me suivez, et vous m’empêchez de dormir. J’ai des agitations tout à fait déplacées, je sens le feu de votre haleine. Je voudrais dans ma déraison pétrir vos lèvres de mes lèvres pendant au moins une heure entière.

Je pensais cette nuit que ce serait un grand bonheur si je pouvais, dans ma fureur, vous identifier avec moi, vous dévorer toute vivante. Elle aurait ses bras dans mes bras, sa personne dans la mienne. Tout le sang qui part du cœur, au lieu d’aller chercher l’artère, pourrait se verser dans son cœur, et puis de son cœur dans le mien. Qui devinerait qu ôlle esl 1 i v J aurais 1 nr de toujours dormir, et nous jaserions en dedans ; mille autres idées extravagantes viennent croiser celle folie. Vous voyez bien, mon cœur, qu’il esl impossible à préseul que vous désiriez me rencontrer, lit pour consentir à me voir, il faudrait que vous fussiez aussi folle que moi : laissez donc là foules vos mignardises ; le ton de votre reconnaissance esl trop louchanl pour mon faible cœur ; ne serrez poinl ma main entre nos petites menottes d’albâtre ; ne les portez pas survotrecœur, comme vous le dites : biul cela me fait mal. je le sens, je le vois comme si cela était. Nous avons mille choses à non- dire, traitons-les par écrit ; vous vous verseriez tout entière que vous ne me soulageriez pas. Mon amour .’-i d’une Irempe à pari : il faudrait m’aimer, el je me rends justice, vous ne pouvez pas m’aimer ; vous ne vomiriez pas rendre malheureux celui que vous avez charmé par votre esprit, votre figure, votre hauteur d’idées el votre parfaite sensibilité. Ayant passe l’âge de plaire, je dois fuir le malheur d’aimer. Tout cela s’apaisera, j’espère, pourvu que je ne vous voie plus.

Ah ! Madame, j’ai profané vire bouche, puisque la mienne l’a pressée sans mourir. Femme, rends-moi l’âme que lu m’as prise, ou mets-en une autre à sa place.

P. Caron Beaumarchais.