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Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/140

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aventurée sent en elle une voix qui lui dit : Sois belle, si tu peux, sage si tu
veux ; mais sois considérée, il le faut. Or, puisqu’il faut être au moins
considérée, que toute femme en sent l’importance, effrayons d’abord la Suzanne
sur la divulgation des offres qu’on lui fait.
Bartholo
Où cela mènera-t-il ?
Marceline
Que, la honte la prenant au collet, elle continuera de refuser le Comte, lequel,
pour se venger, appuiera l’opposition que j’ai faite à son mariage : alors le
mien devient certain.
Bartholo
Elle a raison. Parbleu ! c’est un bon tour que de faire épouser ma vieille
gouvernante au coquin qui fit enlever ma jeune maîtresse.
Marceline, vite.
Et qui croit ajouter à ses plaisirs en trompant mes espérances.
Bartholo, vite.
Et qui m’a volé dans le temps cent écus que j’ai sur le cœur.
Marceline
Ah ! quelle volupté !…
Bartholo
De punir un scélérat…
Marceline
De l’épouser, docteur, de l’épouser !
Scène V
Marceline, Bartholo, Suzanne.
Suzanne, un bonnet de femme avec un large ruban dans la main, une robe de femme
sur le bras.
L’épouser, l’épouser ! Qui donc ? Mon Figaro ?
Marceline, aigrement.
Pourquoi non ? Vous l’épousez bien !
Bartholo, riant.
Le bon argument de femme en colère ! Nous parlions, belle Suzon, du bonheur qu’il
aura de vous posséder.
Marceline
Sans compter Monseigneur, dont on ne parle pas.
Suzanne, une révérence.
Votre servante, madame ; il y a toujours quelque chose d’amer dans vos propos.
Marceline, une révérence.
Bien la vôtre, madame ; où donc est l’amertume ? N’est-il pas juste qu’un libéral
seigneur partage un peu la joie qu’il procure à ses gens ?
Suzanne
Qu’il procure ?
Marceline
Oui, madame.
Suzanne
Heureusement, la jalousie de madame est aussi connue que ses droits sur Figaro
sont légers.
Marceline
On eût pu les rendre plus forts en les cimentant à la façon de madame.
Suzanne
Oh, cette façon, madame, est celle des dames savantes.
Marceline
Et l’enfant ne l’est pas du tout ! Innocente comme un vieux juge !
Bartholo, attirant Marceline.
Adieu, jolie fiancée de notre Figaro.
Marceline, une révérence.
L’accordée secrète de Monseigneur.
Suzanne, une révérence.
Qui vous estime beaucoup, madame.
Marceline, une révérence.
Me fera-t-elle aussi l’honneur de me chérir un peu, madame ?
Suzanne, une révérence.
À cet égard, madame n’a rien à désirer.
Marceline, une révérence.
C’est une si jolie personne que madame !
Suzanne, une révérence.
Eh mais ! assez pour désoler madame.
Marceline, une révérence.
Surtout bien respectable !
Suzanne, une révérence.
C’est aux duègnes à l’être.
Marceline, outrée.
Aux duègnes ! aux duégnes !
Bartholo, l’arrêtant.
Marceline !
Marceline
Allons, docteur, car je n’y tiendrais pas. Bonjour, madame.
(Une révérence.)
Scène VI
Suzanne, seule.
Allez, madame ! allez, pédante ! je crains aussi peu vos efforts que je méprise
vos outrages. — Voyez cette vieille sibylle ! parce qu’elle a fait quelques
études et tourmenté la jeunesse de madame, elle veut tout dominer au château !
(Elle jette la robe qu’elle tient sur une chaise.) Je ne sais plus ce que je
venais prendre.
Scène VII
Suzanne, Chérubin.
Chérubin, accourant.
Ah ! Suzon, depuis deux heures j’épie le moment de te trouver seule. Hélas ! tu te
maries, et moi je vais partir.
Suzanne