Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/163

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 part.
À mon tour maintenant. (Haut.) Votre Excellence m’a gratifié de la conciergerie
du château ; c’est un fort joli sort : à la vérité, je ne serai pas le courrier
étrenné des nouvelles intéressantes ; mais, en revanche, heureux avec ma femme au
fond de l’Andalousie…
Le Comte
Qui t’empêcherait de l’emmener à Londres ?
Figaro
Il faudrait la quitter si souvent, que j’aurais bientôt du mariage par-dessus la
tête.
Le Comte
Avec du caractère et de l’esprit, tu pourrais un jour t’avancer dans les
bureaux.
Figaro
De l’esprit pour s’avancer ? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant, et
l’on arrive à tout.
Le Comte
Il ne faudrait qu’étudier un peu sous moi la politique.
Figaro
Je la sais.
Le Comte
Comme l’anglais, le fond de la langue !
Figaro
Oui, s’il y avait ici de quoi se vanter. Mais feindre d’ignorer ce qu’on sait,
de savoir tout ce qu’on ignore ; d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point
ouïr ce qu’on entend ; surtout de pouvoir au-delà de ses forces ; avoir souvent
pour grand secret de cacher qu’il n’y en a point ; s’enfermer pour tailler des
plumes, et paraître profond quand on n’est, comme on dit, que vide et creux ;
jouer bien ou mal un personnage, répandre des espions et pensionner des
traîtres ; amollir des cachets, intercepter des lettres, et tâcher d’ennoblir la
pauvreté des moyens par l’importance des objets : voilà toute la politique, ou je
meure !
Le Comte
Eh ! c’est l’intrigue que tu définis !
Figaro
La politique, l’intrigue, volontiers ; mais, comme je les crois un peu germaines,
en fasse qui voudra ! J’aime mieux ma mie, ô gué ! comme dit la chanson du bon
Roi.
Le Comte, à part.
Il veut rester. J’entends… Suzanne m’a trahi.
Figaro, à part.
Je l’enfile, et le paye en sa monnaie.
Le Comte
Ainsi tu espères gagner ton procès contre Marceline ?
Figaro
Me feriez-vous un crime de refuser une vieille fille, quand Votre Excellence se
permet de nous souffler toutes les jeunes !
Le Comte, raillant.
Au tribunal le magistrat s’oublie, et ne voit plus que l’ordonnance.
Figaro
Indulgente aux grands, dure aux petits…
Le Comte
Crois-tu donc que je plaisante ?
Figaro
Eh ! qui le sait, Monseigneur ? Tempo è galant’uomo, dit l’Italien ; il dit
toujours la vérité : c’est lui qui m’apprendra qui me veut du mal, ou du bien.
Le Comte, à part.
Je vois qu’on lui a tout dit ; il épousera la duègne.
Figaro, à part.
Il a joué au fin avec moi, qu’a-t-il appris ?
Scène VI
Le Comte, un laquais, Figaro.
Le laquais, annonçant.
Dom Gusman Brid’oison.
Le Comte
Brid’oison ?
Figaro
Eh ! sans doute. C’est le juge ordinaire, le lieutenant du siège, votre
prud’homme.
Le Comte
Qu’il attende. (Le laquais sort.)
Scène VII
Le Comte, Figaro.
Figaro reste un moment à regarder le Comte qui rêve.
… Est-ce là ce que Monseigneur voulait ?
Le Comte, revenant à lui.
Moi ?… je disais d’arranger ce salon pour l’audience publique.
Figaro
Hé ! qu’est-ce qu’il manque ? Le grand fauteuil pour vous, de bonnes chaises aux
prud’hommes, le tabouret du greffier, deux banquettes aux avocats, le plancher
pour le beau monde et la canaille derrière. Je vais renvoyer les frotteurs. (Il
sort.)
Scène VIII
Le Comte, seul.
Le maraud m’embarrassait ! en disputant, il prend son avantage, il vous serre,
vous enveloppe… Ah ! friponne et fripon, vous vous entendez pour me