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Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/176

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férant au plaisir la plus noble victoire,
Il vous rend chaste et pure aux mains de votre époux.
Suzanne est à genoux, et, pendant les derniers vers du duo, elle tire le Comte
par son manteau et lui montre le billet qu’elle tient ; puis elle porte la main
qu’elle a du côté des spectateurs à sa tête, où le Comte a l’air d’ajuster sa
toque ; elle lui donne le billet.
Le Comte le met furtivement dans son sein ; on achève de chanter le duo : la
fiancée se relève, et lui fait une grande révérence.
Figaro vient la recevoir des mains du Comte, et se retire avec elle à l’autre
côté du salon, près de Marceline. (On danse une autre reprise du fandango
pendant ce temps.)
Le Comte, pressé de lire ce qu’il a reçu, s’avance au bord du théâtre et tire le
papier de son sein ; mais en le sortant il fait le geste d’un homme qui s’est
cruellement piqué le doigt ; il le secoue, le presse, le suce, et, regardant le
papier cacheté d’une épingle, il dit :
Le Comte (Pendant qu’il parle, ainsi que Figaro, l’orchestre joue pianissimo.)
Diantre soit des femmes, qui fourrent des épingles partout ! (Il la jette à
terre, puis il lit le billet et le baise.)
Figaro, qui a tout vu, dit à sa mère et à Suzanne :
C’est un billet doux, qu’une fillette aura glissé dans sa main en passant. Il
était cacheté d’une épingle, qui l’a outrageusement piqué.
La danse reprend : le Comte qui a lu le billet le retourne ; il y voit
l’invitation de renvoyer le cachet pour réponse. Il cherche à terre, et retrouve
enfin l’épingle qu’il attache à sa manche.
Figaro, à Suzanne et à Marceline.
D’un objet aimé tout est cher. Le voilà qui ramasse l’épingle. Ah ! c’est une
drôle de tête !
(Pendant ce temps, Suzanne a des signes d’intelligence avec la Comtesse. La
danse finit ; la ritournelle du duo recommence.)
Figaro conduit Marceline au Comte, ainsi qu’on a conduit Suzanne ; à l’instant où
le Comte prend la toque, et où l’on va chanter le duo, on est interrompu par les
cris suivants :
L’Huissier, criant à la porte.
Arrêtez donc, messieurs ! vous ne pouvez entrer tous… Ici les gardes ! les
gardes ! (Les gardes vont vite à cette porte.)
Le Comte, se levant.
Qu’est-ce qu’il y a ?
L’Huissier
Monseigneur, c’est monsieur Bazile entouré d’un village entier, parce qu’il
chante en marchant.
Le Comte
Qu’il entre seul.
La Comtesse
Ordonnez-moi de me retirer.
Le Comte
Je n’oublie pas votre complaisance.
La Comtesse
Suzanne !… Elle reviendra. (À part, à Suzanne.) Allons changer d’habits. (Elle
sort avec Suzanne.)
Marceline
Il n’arrive jamais que pour nuire.
Figaro
Ah ! je m’en vais vous le faire déchanter.
Scène X
Tous les Acteurs précédents, excepté la Comtesse et Suzanne ; Bazile tenant sa
guitare ; Gripe-Soleil.
Bazile entre en chantant sur l’air du vaudeville de la fin. (Air noté.)
Cœurs sensibles, cœurs fidèles,
Qui blâmez l’amour léger,
Cessez vos plaintes cruelles :
Est-ce un crime de changer ?
Si l’Amour porte des ailes,
N’est-ce pas pour voltiger ?
N’est-ce pas pour voltiger ?
N’est-ce pas pour voltiger ?
Figaro, s’avance à lui.
Oui, c’est pour cela justement qu’il a des ailes au dos. Notre ami, qu’entendez-
vous par cette musique ?
Bazile, montrant Gripe-Soleil.
Qu’après avoir prouvé mon obéissance à Monseigneur en amusant monsieur, qui est
de sa compagnie, je pourrai à mon tour réclamer sa justice.
Gripe-Soleil
Bah ! Monsigneu, il ne m’a pas amusé du tout : avec leux guenilles d’ariettes…
Le Comte
Enfin que demandez-vous, Bazile ?
Bazile
Ce qui m’appartient, Monseigneur, la main de Marceline ; et je viens m’opposer…
Figaro s’approche.
Y a-t-il longtemps que monsieur n’a vu la figure d’un fou ?
Bazile
Monsieur, en ce moment même.
Figaro
Puisque mes yeux vous servent si bien de miroir, étudiez-y l’effet de ma
prédiction. Si vous faites mine seulement d’approximer madame…
Bartholo, en riant.
Eh pourquoi ? Laisse-le parler.
Brid’oison s’avance entre deux.
Fau-aut-il que deux amis ?…
Figaro
Nous, amis !
Bazile
Quelle erreur !
Figaro, vite.
Parce qu’il faut de plats airs de chapelle ?
Bazile, vite.
Et lui, des vers comme un journal ?
Figaro, vite.
Un musicien de guinguette !
Bazile, vite.
Un postillon de gazette !
Figaro, vite.
Cuistre d’oratorio !
Bazile, vite.
Jockey diplomatique !
Le Comte, assis.
Insolents tous les deux !
Bazile
Il me manque en toute occasion.
Figaro
C’est bien dit, si cela se pouvait !
Bazile
Disant partout que je ne suis qu’un sot.
Figaro
Vous me prenez donc pour un écho ?
Bazile