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le château vert

assise dans son fauteuil de chaque après-midi. Et, les mains jointes, elle admirait de nouveau les deux enfants, le bon Philippe qui d’une caresse chaste enlaçait la taille de Mariette, et Mariette qui, les yeux baissés, tremblait d’amour et de joie.


CHAPITRE XVI

Philippe sortit assez tard de chez les Barrière, au moment où le crépuscule blanchit la rue. Il traversait d’un pas rapide, pour se rendre à son magasin, la route neuve qui longe son parc et monte vers la plaine de sable, lorsqu’il croisa Micquemic.

Celui-ci ne le reconnut point. Pressé de rentrer chez lui avant la nuit, il titubait un peu au milieu de la chaussée, et il serrait entre ses bras, contre son cœur, une bouteille. Aussi longtemps qu’il marcha sur la route très large, il ne risqua pas de choir. Mais sur le sentier sinueux, qui se déroule à la base de la colline de laves, où là-haut l’attendait sa masure, il broncha contre des pierres, contre des racines de roseaux. Certes, il avait l’habitude de ces parages rocailleux, et toujours il franchissait habilement chaque obstacle.

Mais l’ombre devenait épaisse sur la plaine de sables, sur la mer qu’on entendait gronder lourdement, là-bas. Au loin, sur les gradins de la montagne Saint-Clair, qui supporte la ville de Cette, les « baraquettos », éparses dans les vignes et les bocages, allumaient leurs lampes et leurs lanternes, plus brillantes qu’au firmament les étoiles. Ici tout proche, les trois maisons isolées du Cap ressemblaient n’ayant point de lumière, à de grands rochers plus noirs que l’ombre, sur le bord des vagues qui roulent sans fin les galets et les coquillages.

Maintenant Miquemic suivait le sentier capricieux sur le bord de l’étang de Luno, un étang profond, sans reflet, qui sommeille d’un éternel repos parmi la brousse de vigoureux ajoncs et de nénuphars aux larges feuilles. Micquemic, de plus en plus, haletait de fatigue, de crainte aussi. Car il avait trop bu au Cabaret Catalan, place de la Marine : il tenait mal son équilibre, il ne voyait