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le château vert

Agde, de quoi parlait-on le plus : des ambitions de M. Barrière ou de la disparition mystérieuse de Micquemic ? Ne se trouverait-il pas, au moins dans le Cercle, quelques notables assez intelligents pour apercevoir une relation certaine entre les deux événements. Hélas ! le monde n’est guère composé que de sots moutons de Panurge. En tout cas, si Barrière était élu, il ne le serait pas à l’unanimité qu’exigeait ce rapace. Tout de même, quel orgueil pour lui ! Pour le Château Vert, quelle défaite ! À force de détester le nouveau riche, futur allié de ces traîtres de Ravin ; à force de lui souhaiter toutes les misères, les Jalade, même Benoît, qui ne connaissait plus une minute de tranquillité, en arrivaient à considérer les Barrière comme des ennemis personnels qui, ne leur ayant causé que du mal, méritaient un châtiment.

Après-midi, ne fût-ce que pour démontrer aux gens du Grau une sérénité parfaite, Thérèse s’attifa d’une toilette élégante, passa sur ses lèvres charnues son bâton de rouge, autour de ses yeux brillants son bâton de noir, farda de poudre son visage au teint très brun, presque cuivré. Et jolie, fraîche, éclatante de jeunesse, elle emmena sa mère sur la plage, pour une longue promenade.

Le soir, les Jalade dînèrent de fort mauvaise humeur, sans échanger la moindre conversation. Ils s’impatientèrent de plus en plus de recevoir quelque nouvelle d’Agde, lorsque la bonne, en servant le dessert, dit tout bas, sur un ton d’indifférence affectée :

— Vous savez que M. Barrière est élu ?

Les trois Jalade tressaillirent de surprise, comme si jamais ils n’eussent prévu ce désastre.

— Qui vous a dit ça ! maugréa M. Jalade, lequel simulait à merveille, pour gagner la bienveillance de sa femme, une indignation profonde.

— Des clients qui arrivent d’Agde, qui le racontent à table d’hôte.

— Pardi ! grommela Mme Jalade. On ne doit parler en ville que de cette élection. Tout le monde doit en ce moment féliciter le glorieux vainqueur, qui sans doute célébrera sa victoire en famille, avec nos fameux amis les Ravin. Ah ! mon Dieu, quel scandale ! Et personne n’a pu l’empêcher, pas même toi, Benoît !…

Irène frappait du poing sur la table, épiait du coin de l’œil, pour la plaindre, sa petite Thérèse dont le dépit