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le château vert

La mère de Philippe, découvrant pour la première fois les convoitises de cette enfant gâtée, demeura immobile de stupéfaction, les mains à plat sur le damier. Philippe, toujours patient, avait déjà recouvré son sang-froid : d’un doigt calme il déplaçait un pion sur l’échiquier.

Après un moment de silence, Thérèse, qui se tenait debout, les bras croisés, auprès de Philippe, maugréa :

— Je crois bien, après tout, que la fille du jardinier n’est venue ici que pour avoir de tes nouvelles.

— Ah ! Thérèse !… répliqua Mme Ravin. Tu as bien tort de t’agiter ainsi !

— Quand même, ajouta Philippe, Thérèse dirait vrai, est-ce que Mlle Barrière n’a pas le droit de s’intéresser à un jeune homme qui est son voisin ? Allons-nous, pour cela, nous chamailler, nous autres ?

— Non ! protesta Thérèse. Ce n’est pas possible. Par conséquent, n’insistons pas. Mais on est jaloux de ce qu’on aime.

Mme Ravin s’aperçut à l’instant que son malade, trop distrait, jouait à tort et à travers.

— Tu es un peu fatigué, Philippe ?

— Oui et non. Je commence à m’ennuyer.

— Avec nous ! Ici !… se récria Thérèse.

— Je pense à mon travail. Il y a si longtemps que je suis enfermé dans cette chambre !… Oh ! que tu deviens ombrageuse !…

— J’ai encore tort. C’est vrai.

Thérèse sourit de bonne grâce, et le souci s’envola de sa tête légère. Aidée de Mme Ravin, elle rapprocha de la fenêtre le fauteuil de Philippe. Celui-ci, comme d’habitude, s’extasia d’admiration et de joie devant l’espace ivre de lumière où communiaient les riches splendeurs de la terre et des eaux. Quelquefois des bateaux descendaient le fleuve, et cela divertissait Philippe de surveiller leur avance pénible contre les premières ondes de la mer haletante. Sur le quai passaient des promeneurs ; des autos roulaient jusqu’au seuil de la plage, ou en revenaient. À même les dalles, sur les bords du quai, des pêcheurs ravaudaient leurs volumineux filets pourvus de gros bouchons ; d’autres rapportaient de leurs barques, qui maintenant étaient couchées sur le sable de la plage, des paniers de poissons.