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le château vert

demandant si vraiment des liens solides l’unissaient à des amis uniquement préoccupés de satisfaire leur vanité. Il affecta, déjà si peu loquace, de ne guère parler à table. Chaque fois qu’on évoquait, pour en sourire, les convoitises de Thérèse, il en écartait l’image d’un geste de dédain. Ce n’était pas Thérèse qu’il blâmait le plus, parce qu’on pouvait, après tout, l’excuser de se griser d’illusion à son âge. Il trouvait les Jalade détestables d’insouciance et d’orgueil. Quel regret que les circonstances n’eussent pas permis plus tôt de leur faire entendre qu’ils se complaisaient dans une erreur saugrenue ! On n’aurait pas le chagrin d’infliger à Thérèse, un jour prochain peut-être, une cruelle déception. Ma foi, tant pis !… Pourquoi d’ailleurs cela empêcherait-il de rester amis ?

Mariette paraissait à ses yeux plus belle chaque jour, plus désirable, douée d’un caractère qui s’accordait au sien, à son goût de calme et de modération. Il espérait que ses parents ne contrarieraient pas son dessein, car, à plusieurs reprises, ils avaient vanté les qualités morales de M. Barrière. Mariette, élevée dans un grand lycée, à Lyon, avait de l’éducation ainsi que de la fortune. Elle saurait à merveille se tenir dans le monde le plus envié de la région, chez les bourgeois distingués qui depuis longtemps avaient par leur intelligence et leur travail conquis de véritables titres de noblesse. Thérèse, elle, ne songeait, en sa tête de linotte, qu’à l’éclat de ses toilettes et à l’amusement. Oui, mais, sur les intentions de Mariette ne se leurrait-il pas ? Ne serrait-elle pas, au fond de son cœur, un de ces amours jaloux que parfois les jeunes filles consacrent à un jeune homme, qui d’ailleurs ne le soupçonne point ? Philippe résolut alors de connaître la vérité sans retard. Pourquoi perdrait-il son temps en rêveries qui ne convenaient pas à sa nature, lui qui cherchait la précision en toutes choses. Certes, il n’était pas expansif. Mais, sous des apparences de froideur, il avait une âme ardente, qui ne se détachait pas aisément d’une idée une fois qu’il l’avait adoptée.

Donc, le lendemain, après déjeuner, il descendit dans le parc faire sa promenade habituelle. Ce jour de novembre était délicieux, une sorte de printemps étonné, tout enguirlandé de feuillages d’or et de pourpre qu’emporterait la première bourrasque. Philippe gravit le talus bordé de roseaux, et, de la haute allée qui domine la propriété des Barrière, il guetta l’apparition de Mariette.