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le château vert

— Oh ! nous allons modifier tout ça. Enfin, n’importe ! Eugénie, nous ne vous avons pas oubliés.

Thérèse déposa sur la table le coffre précieux en carton doré. Au milieu d’un silence profond, sa mère en retira, non sans beaucoup de soin, chacun des jolis cadeaux, les écrins enveloppés de papier de soie. Philippe et sa mère frémissaient réellement d’une émotion si forte de gratitude et de gêne à la fois qu’ils ne trouvaient pas de mots assez convenables pour remercier de tant de largesse et que, échangeant des regards furtifs, ils ne savaient plus s’ils auraient le courage d’annoncer maintenant leur mauvaise nouvelle. Mais alors quel motif allégueraient-ils d’avoir sollicité avec insistance le plaisir de se rendre, cette après-midi, au Château Vert ?

Thérèse épiait dans les yeux brillants de Philippe un émoi de surprise ; elle l’entourait à demi de ses bras comme par mégarde. Subitement, elle le saisit aux épaules, et, sans qu’il eût le temps de protester, elle voulut, au grand divertissement de leurs parents, essayer elle-même sur lui l’épingle de cravate qu’elle avait choisie dans le plus élégant magasin de Monte-Carlo. Philippe toléra de bonne humeur, selon son habitude, la familiarité gamine de Thérèse, qu’il allait fatalement contrister tout à l’heure. Pendant qu’il affectait de s’amuser aussi, sa mère, sur l’invitation des Jalade, attacha ses boucles à ses oreilles et se mira dans la glace ; elle déclara que jamais elle n’avait porté de pareils joyaux. Irène se récria :

— Tu plaisantes, Eugénie ! Si tu voulais, tu serais, grâce à ta fortune, la femme la plus enviée d’Agde. Tu es trop modeste.

Déjà Benoit disposait sur la table la vieille bouteille de Frontignan et le gâteau qu’il était allé chercher à la cuisine.

— Oh ! protesta Mme Ravin, vous vous êtes dérangés ! Ce n’est pas raisonnable.

— Pardon ! répliqua Irène. Depuis si longtemps qu’on ne s’est pas réunis !… Il faut trinquer ensemble.

Thérèse, quand elle eut offert à la ronde les parts du gâteau, servit le muscat de Frontignan, vint s’asseoir auprès de Philippe, qui souffrit du contact de sa personne suppliante et passionnée. Et là, au moment où les Ravin y pensait le moins, Irène, à l’improviste, provoqua la terrible révélation :